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Bruxelles, February 2005

Commission vérité et réconciliation, un outil constitutif de la re-création de l’Afrique du Sud démocratique dont le but est de redonner dignité et citoyenneté à chacun

Juste retour des choses d’un combat populaire, le projet politique des autorités publiques rejoint les besoins et les aspirations des membres de la nation sud africaine. Il offre la possibilité à tous d’y participer à travers une formule exemplaire qui réinvente le contrat social.

Keywords: | | | | | South Africa

Le fondement de la commission vérité et réconciliation est politique. Le processus est publique, ouvert, civil et civique, il est au service du bien commun. Parce que la haine en réponse à la haine ne fait qu’accroître la haine, la commission a choisi de combattre les injustices sans en haïr les auteurs. Elle fait preuve de pédagogie en expliquant qu’on ne se réconcilie pas avec quelqu’un avec qui on est d’accord mais avec quelqu’un avec qui on est pas d’accord.

Donner la parole aux victimes et faire parler les auteurs qui sont tous deux présents par consentement mutuel, réparer le tort vécu par les premiers et amnistier les seconds, telle est sa mission qui la distingue de celle d’un tribunal, d’un organe consultatif, d’une commission parlementaire…

La recherche de la vérité

C’est aux victimes de s’exprimer en premier, de « rapporter leurs propres récits » , d’avoir cette liberté de parole dont elles ont été privées pendant l’apartheid. Chacune peut s’exprimer dans sa langue, la commission assurant la traduction simultanée. Cette absence de barrière linguistique fait partie de la pédagogie du dialogue. Au delà du récit, la commission vise la réparation de la dignité et matérielle des victimes.

Lors des auditions des « perpretators » , les auteurs des crimes, il ne s’agit pas d’affrontements preuves contre preuves, mais de laisser dire les faits. La commission écoute aussi bien les crimes de l’apartheid que ceux contre lui. Elle enquête sur le contexte et les causes, elle tente d’établir la responsabilité politique et morale des auteurs. C’est l’acte qui sera amnistié, si tout a été dit et si l’acte a été commis dans le cadre de la politique de l’organisation dont dépend l’auteur.

Le récit est à l’opposée du silence et des mensonges de l’apartheid ; il fabrique la mémoire de la nation ; il est dialogue premier : les victimes entendent les auteurs, les auteurs entendent les victimes ; il est aussi thérapie.

La citoyenneté retrouvée

Par un acte volontaire, les perpretators peuvent demander une amnistie à la commission. Cette dernière reconnaît une différence conséquente entre les perpretators obéissant à un régime criminel organisé disposant de la violence des forts et les perprétators sans droits, sans structure étatique, qui se battaient contre ce régime.

En considérant les premiers comme victimes du système, en acceptant la légitimité du combat des mouvements de libération, la commission condamne clairement le caractère totalitaire de l’apartheid. Dans ce nouvel espace politique, l’amnistie, ni repentir, ni pardon, donne la capacité au perpretator d’être citoyen de la future démocratie en construction. Mais c’est la victime, celle qui a subit les actes du perpretator, qui autorise pleinement la reconstruction sociale : en se montrant humaine avec eux, elle leur donne la possibilité de retrouver leur propre humanité. Par son récit, elle est reconnue dans sa souffrance et est restaurée dans sa dignité. C’est ce double cheminement qui conduit à la réconciliation, impliquant un retournement du regard de l’un vers l’autre. Ce retournement est particulièrement fort à propos de celui qui a été accusé à tort, victime de la rumeur ou de la médisance.

Un processus à long terme

La commission connaît aussi des limites ; parfois l’accompagnement thérapeutique est déficient, la réparation est chose délicate : le tissus social, l’Etat n’est pas toujours en mesure de l’assurer. Ainsi la réconciliation entre communautés noires, celles en lutte contre l’apartheid et celles qui collaboraient est longue et difficile. Certaines victimes attendent la demande de pardon de leur perpretador, tout en craignant son manque de sincérité, voire de l’indifférence qui ne fera qu’accroître leur souffrance. Devant cette difficulté la commission veut mettre en avant ceux qui se sont « élevés au dessus du système » . Elle porte une attention particulière aux engagements de ceux qui veulent réparer leur faute afin qu’ils tiennent leur parole. Elle insiste sur la difficulté que chacun doit dépasser quand il refuse de reconnaître la contribution de l’autre parce qu’il n’appartient pas à son camp. Elle met l’accent sur la responsabilité de collectivités socioprofessionnelles qui ont bénéficié de la situation et ont manqué à leur code de déontologie.

Aussi, pour aller plus loin, un registre est ouvert pour tous ceux qui sans avoir commis de crimes veulent s’excuser d’avoir laisser faire, d’avoir privilégier leur confort en fermant les yeux…

La construction collective

L’ensemble des auditions fait l’histoire en même temps qu’il dépose, abolit par son contenu le régime d’apartheid. Ce passé douloureux est évoqué dans la constitution provisoire de 1993 qui affirme que chacun peut« maintenant y faire face, sur la base d’un besoin de compréhension et non de vengeance, d’un besoin de réparation et non de représailles, d’un besoin d’Ubuntu (le fait d’être une personne avec d’autres personnes) et non de victimisation » . Ainsi, c’est parce que l’Afrique du sud, à travers chacun de ses concitoyens, pourra affronter le passé, qu’elle sera mieux à même de construire l’avenir. C’est cette articulation entre une démarche personnelle et une démarche collective qui fait la force de la commission. Celle-ci a permis de traduire en acte ce qui trop souvent reste à l’état de discours

Commentary

La commission Vérité et réconciliation a permis la transition d’un régime répressif à un régime démocratique de manière pacifique. La commission a aussi évité de s’enliser dans un processus trop long, trop vague encombrant les prisons, décourageant les victimes…

Paradoxalement, alors qu’il ne s’agit pas d’un organe pénal, la commission a évité l’impunité : celui qui demande l’amnistie reconnaît en public la responsabilité de ses actes. Elle ouvre la voie a une responsabilisation plus large autour des valeurs démocratiques, des droits de l’homme, de la lutte contre les injustices et la pauvreté…

Notes

  • Source : « Amnistier l’apartheid », Le Seuil.