Larbi Bouguerra, Bois Colombes, novembre 2007
L’eau et l’espoir coulent à nouveau dans les marais irakiens.
Asséchés par le régime de Saddam Hussein pour réprimer plus aisément ses habitants – gardiens d’une culture séculaire remontant à l’aube de l’Humanité -, les marais irakiens formés par la rencontre des deux fleuves mythiques de la Mésopotamie - le Tigre et l’Euphrate - seraient en train de revenir à la vie…
Mots clefs : La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Fleuves et paix | Reconstruire l'environnement après une guerre | Irak | Iran
Réf. : Richard C. Hottelet, « Water and hope flow again in Iraqi marshlands », The Christian Science Monitor, 31 juillet 2003.
Langues : anglais
Mère Nature reprend ses droits en Irak. L’eau revient aux marais mésopotamiens que Saddam Hussein avait transformés en un désert recouvert de sel.
Les marais couvraient une superficie de 8000 miles carrés au sud de l’Irak, au confluent du Tigre et de l’Euphrate. Appelés depuis des temps reculés le Croissant Fertile et considérés comme le Jardin d’Eden dont parle la Bible, ces marais ont abrité les Sumériens il y a 5000 ans. Ces derniers habitaient des maisons en roseaux avec des dômes caractéristiques et avaient même domestiqué le buffle devenu depuis une caractéristique du paysage local.
Dans les années 1980, un demi-million de personnes – appelées les Arabes Chiîtes des marais ou Madan - élisaient domicile sur les minuscules îles des marais. Ils vivaient essentiellement de la pêche et des oiseaux qui venaient en grand nombre se reproduire ici sur la voie de migration nord-sud. Les Madan parcouraient sur des barques à fond plat les lagons et leur réseau labyrinthique à travers les roseaux. Les chasseurs venaient de loin pour ces paysages magiques ainsi que ceux qui voulaient échapper à l’oppression exercée par le régime honni de Saddam Hussein. Ils étaient, bien sûr, poursuivis par les sbires du dictateur mais avec difficulté.
Quand la guerre de 1991 prit fin, Washington poussa les Madan à la révolte. Mais comme Saddam Hussein avait été autorisé à conserver son armée et ses hélicoptères, il les lança avec sauvagerie contre le « Peuple des Marais ». Il ordonna aussi que l’on mette le feu à leurs habitations. En outre, on creusa d’énormes canaux de drainage – surnommés le Troisième Fleuve - et on éleva un grand nombre de digues et de retenues pour empêcher l’eau du Tigre et de l’Euphrate d’entrer dans les marais.
En quelques années, 95 % de ces marais devinrent un désert. Seul rescapé de cette hécatombe, un marais à cheval sur l’Iran et l’Irak subsiste car alimenté par un cours d’eau prenant sa source en Iran. La population fut pratiquement exterminée ou contrainte à l’exil soit en Irak soit, pour 100 000 personnes, en Iran. Quelque 100 000 Madan furent parqués dans des campements gérés par la police de Saddam. Les habitations en roseaux furent incendiées : la fumée était visible de l’espace comme l’ont attesté les astronautes de la navette Endeavour en 1996.
Par chance, les fortes pluies de printemps et la fonte des neiges d’Anatolie en 2003 ont permis l’inondation des marais. Les forces alliées firent sauter certains barrages et les Madan se mirent au travail pour éliminer tous les ouvrages en terre. Le PNUE voit dans les efforts des Madan une preuve de leur foi en la Nature, capable de panser ses plaies par elle-même.
Le retour de l’eau eut un effet immédiat sur les gens que la guerre avait libérés. Ils se remirent à pêcher sur leurs barques traditionnelles qui n’avaient pas navigué des années durant.
L’eau semblait promettre le retour à la vie d’antan.
Mais gare au romantisme !
La dévastation provoquée par Saddam et ses sbires pendant une décennie ne sera pas facile à réparer. Du reste, on est en droit de se demander : les personnes déplacées reviendront-elles ?
La réhabilitation des marais prendra sûrement bien du temps et nécessitera un effort international.
L’eau, par exemple, provient du Tigre et de l’Euphrate, essentiellement.
Or, au cours des 40 dernières années, ces deux fleuves ont vu leur cours entravé par plus de 30 grands barrages. C’est ainsi que l’eau retenue en amont pour les besoins de l’irrigation en Turquie, en Syrie et en Irak n’est plus, bien entendu, disponible pour les marais. L’Iran aussi est impliqué dans cet état de chose.
Commentaire
Le cas des marais du Chatt El Arab est une catastrophe écologique majeure… provoquée bien sûr, par la main de l’homme.
Couper l’eau aux marais comme l’a fait le régime irakien a conduit à l’effondrement d’un écosystème pratiquement sans équivalent dans le monde.
Exemple parmi cent de ces destructions : la perturbation des voies de migration des oiseaux vers l’Europe et l’Asie.
La répression inhumaine de Saddam à l’encontre ces populations pacifiques – mais ayant le tort d’être chiites pour le tsar irakien - soulevées contre son régime dictatorial et les exactions de sa police politique - ont conduit au pire : le départ des hommes, la destruction d’un mode de vie séculaire, l’effondrement d’un écosystème unique…
L’avenir seul dira si Mère Nature peut se remettre de ces terribles blessures.