Larbi Bouguerra, Paris, juin 2007
Oublions l’OPEC. Le prochain cartel pourrait bien être celui de l’exportation d’eau
Des entreprises sont déjà là. Elles s’approprient la ressource et la mettent sous clef pour vendre à l’étranger.
Mots clefs : L'eau | Exploitation durable et responsable de l'eau | Aquifères transfrontaliers | Expert | Entreprise | Réformer les rapports économiques pour préserver la paix
Réf. : Mark Clayton, « Forget OPEC. The next cartel may export drinking water », Christian Science Monitor, 30 décembre 2004
Pour certains, Terry Spragg est un génie, pour d’autres, c’est un fou. Cet homme pense que remplir d’eau potable d’immenses outres et les livrer, par voie maritime, aux régions souffrant d’un déficit hydrique est un moyen d’assurer la paix mondiale.
Cela n’est pas une vue de l’esprit si on n’oublie pas que moins de 2% de l’eau sur terre est potable et que celle–ci est menacée par la pollution, les pathogènes et les précipitations de plus en plus erratiques du fait du réchauffement climatique. Ce faisceau de données, pour certains, va livrer le monde à une ruée d’entreprises privées et de pays pour se concurrencer et faire valoir leurs droits sur l’eau.
Certains experts disent tout haut : oublions l’OPEC ! Le prochain cartel sera une organisation de pays exportateurs. Pour d’autres, la privatisation locale (nationale) de l’eau recèle encore plus de dangers car elle empêcherait l’accès à l’eau des plus pauvres parmi les citoyens du pays en question.
Pour Maude Barlow, Présidente du Conseil des Canadiens, une ONG basée à Ottawa : « l’eau est de l’or bleue. Elle est infiniment précieuse. Dans un avenir proche, nous allons observer un mouvement pour encercler l’eau et la transformer en marchandise. Comme cela a été fait pour le pétrole, on va mettre la main sur l’eau ».
On voit déjà des signes trahissant l’intérêt des entreprises. On rapporte que des pipelines pour transférer l’eau de l’Ecosse vers l’Angleterre qui en manque sont en projet. Des plans similaires existent pour la Turquie et l’eau irait en Europe Centrale et aux marchés de Chypre, de Grèce, d’Egypte et de Malte, à en croire Maude Barlow.
Les énormes outres conçues par Spragg retiennent, de leur côté, l’attention. Cet homme d’affaires californien essaie de persuader la Maison Blanche de négocier un accord de paix qui permettrait d’exporter 20 à 30 de ces « sacs de Spragg », remplis d’eau turque, vers Israël et la Palestine. Il affirme que le transport coûterait à peine un cent de dollar par gallon. Il y a en fait, déjà un précédent. La société Aquarius Water Transportation a été la première a délivrer, par voie maritime, de grandes quantités d’eau aux îles grecques en 2000. Une autre compagnie, Nordic Water Supply, a utilisé des sacs de 5 millions de gallons - 10 fois plus volumineux que ceux d’Aquarius - et les a fait flotter de Turquie vers Chypre.
Il semble que la Turquie veuille vendre de l’eau à Israël. On discute actuellement du prix et du moyen de livraison.
Pour Spragg : « L’eau est une bien épineuse question dans cette région. Si les belligérants voient les sacs d’eau dans leur port ou sur leurs côtes, ils sauront qu’ils sont autosuffisants en eau. Pour eux, cela sera un énorme soulagement ».
D’autres exportateurs utilisent des modes de transport plus traditionnels. Ainsi, pour A. Fred Paley, Président de Global H2O Resources, « il est impossible de surestimer l’importance des fournitures d’eau potable. De nombreuses communautés, dans plus de 50 pays, souffrent du manque d’eau soit parce que les quantités sont insuffisantes, soit parce que l’eau est polluée soit parce qu’elle est absente ». Son entreprise, située à Vancouver, vend l’eau des glaciers de l’Alaska en bouteille mais elle envisage d’en vendre, en gros, aux pays asiatiques et du Moyen – Orient.
L’eau en bouteille est un autre défi. Les ventes mondiales frôlent les 50 milliards et la croissance est de 10 % l’an. En 2003, 10 pays seulement ont englouti 29 milliards de gallons d’eau embouteillée (un gallon = 3, 8 litres).
Pour le Dr Peter Gleick, la croissance, ironiquement, se produit dans les pays du Sud. Ainsi, la Chine a quadruplé sa consommation entre 1997 et 2002. Pour la même somme, la Chine aurait pu fournir de l’eau de robinet propre a tous ceux qui en manque.
Le même expert affirme que les PVD ne veulent pas dépenser l’argent nécessaire pour l’infrastructure. Ils préfèrent laisser le privé s’occuper de l’eau car il le fait plus rapidement que le public mais à des coûts plus élevés. Pour Gleick, ce ne sont pas les cartels qui posent le plus problème mais les conflits locaux quant à la manipulation de la ressource par les entreprises et il signale les conflits autour des aquifères, aux Etats Unis, entre les entreprises d’eau en bouteille et les résidents. L’industrie de l’eau en bouteille rejette cette argumentation et dit qu’elle n’est qu’un utilisateur parmi des milliers d’autres.
La controverse ne va pas s’arrêter de si tôt. Pour Maude Barlow : « Des intérêts différents sont entrain de converger : les compagnies de l’eau en bouteille, les fournisseurs de service municipaux privés, les compagnies maritimes, les entreprises de pipeline pour exporter de l’eau en grosse quantité et en vrac ».
C’est pourquoi de nombreuses ONG essaient d’obtenir de l’ONU une déclaration affirmant que l’eau est un droit humain.
Commentaire
L’eau est-elle une marchandise ? L’eau a-t-elle un prix ? L’eau peut-elle générer des profits ? Peut-on empêcher l’accès de l’eau à quelqu’un sous prétexte qu’il ne peut la payer ? La problématique est ainsi posée car l’eau est essentielle à la vie et est un facteur clé de la paix sur cette planète.
L’autre question que soulève ce texte est la généralisation de la politique de l’offre. Comme si la quantité d’eau sur terre était infinie. Ce qui n’est pas la cas. Et comme si la technique pouvait résoudre tous les problèmes. Que devient le développement durable ? Comment inculquer la notion qu’il faut économiser l’eau à cette étape de l’histoire de l’homme? Comment mettre le holà à la pollution insidieuse et continue de l’eau de la planète par nos déchets, notre consommation effrénée et nos produits toxiques ?
De plus l’eau n’est pas à la disposition de l’homme seul sur cette planète. Toute la biosphère en a besoin et celle-ci contribue à son cycle hydrologique (eau météorique) pour purifier et recycler la ressource.
Il faut aussi insister sur la promotion des techniques traditionnelles de gestion, de consommation et de gouvernance de l’eau et amener l’agriculture et l’industrie à économiser l’eau.
On notera pour finir qu’en Inde aussi, de violents affrontements ont mis aux prises récemment les entreprises de boissons soft et les communautés.