José Pablo Batista, Bogota, Colombia, juin 2002
La pertinence d’une initiative européenne en faveur de la paix en Colombie : l’un des défis pour l’Europe de demain
Internationaliser les efforts de paix : un défi pour construire la paix en Colombie. Le conflit colombien ne dévoilerait-il pas l’un des défis majeurs pour l’Europe de demain : celui de se positionner dans l’univers de la géostratégie mondiale en tant que pôle de proposition et de construction de paix par la voie politique ?
Mots clefs : Conflit colombien | Médiation internationale pour la paix | Initiatives de coopération politique internationale pour la paix | Voie diplomatique pour chercher la paix | Citoyens colombiens pour la paix | Union Européenne | Diplomate | S'opposer à l'échelle internationale à la poursuite d'une guerre | Elaborer des propositions pour la paix | Intervenir diplomatiquement pour arrêter la guerre | Colombie
Le 3 juin 2002, je lisais dans les journaux colombiens deux informations dramatiques et convergentes :
La première informait qu’un attentat avait été commis la veille contre un groupe de sympathisants de la guérilla, réunis dans un bar de Corinto, dans le sud-ouest du pays. Un explosif a été lancé dans l’établissement, quatre personnes sont mortes sur le coup, trois autres ont été abattues alors qu’elles essayaient de prendre la fuite. L’attentat a été attribué aux AUC, l’un des nombreux et puissants groupes de paramilitaires.
La seconde informait qu’un second attentat avait eu lieu le même jour. La cible : une caserne de la police à Chigodoro, dans la région d’Uriba, au nord-est du pays. Neuf personnes ont été tuées sur le coup : un policier de vingt-cinq ans, sa femme de dix-neuf ans et sept enfants de deux à sept ans. L’attentat a été attribué aux FARC, le groupe guérillero le plus fort de la Colombie.
Ces attentats, sous fond de narcotrafic, illustrent bien la situation de la Colombie en ce début du XXIe siècle.
Cela se produit dans un contexte politique précis. Les élections présidentielles ont eu lieu en Colombie en mai 2002. Le candidat indépendant Alvaro Uribe, partisan d’une ligne dure face à la guérilla, a remporté, dès le premier tour, l’élection présidentielle. Le père d’Alvaro Uribe avait été tué par la guérilla lors d’une tentative d’enlèvement au début des années 1980. Ce triomphe marque un net virage à droite d’un électorat fatigué par trente-huit années d’un conflit qui tue des milliers de personnes chaque année. La législation colombienne favorise un exercice très autoritaire du pouvoir et soutient la militarisation des rapports sociaux. C’est un outil qui sera utilisé par le nouveau gouvernement pour entamer une importante réforme des institutions, tel qu’il l’a promis dans sa campagne, dans le sens de plus de centralisation du pouvoir et plus d’autoritarisme niché au cœur des institutions démocratiques. Contre ceux qui affirment qu’une nouvelle constitution pourrait être bientôt élaborée par le nouveau gouvernement afin d’adapter la loi à ses actions, d’autres affirment que ce n’est pas nécessaire : il lui est aussi facile d’utiliser la démocratie pour instaurer derrière elle un régime sécuritaire tout aussi légitime, la démocratie devenant son costume.
Le président sortant Andres Pastrana, qui en 1998 avait affiché son engagement pour négocier la paix avec la guérilla, après trois ans de négociations qui se sont soldées à chaque fois par un échec laisse la tentative de négociation politique du conflit colombien profondément fragilisée. Pendant son mandat, la violence a continué à s’aggraver. Aujourd’hui les guérillas recourent plus que jamais aux enlèvements, à l’intimidation, aux sabotages et aux exactions. Les paramilitaires, eux, continuent leur mission de nettoyage politique en toute impunité.
A. VERS UNE SITUATION DE CRISE HUMANITAIRE
La violence en Colombie est telle que les quarante millions de Colombiens connaissent presque tous quelqu’un qui a été tué ou enlevé dans la plus grande impunité. Bien que la souffrance de nombreux colombiens ne puisse pas être quantifiée, quelques chiffres donnent quand même une idée de l’ampleur des drames : en 2000, 185 000 personnes furent déplacées. En 2001, leur nombre représentait 260 000. Selon les études de la Commission Colombienne de Juristes, présidée par M. Gustavo Gallon, la violence politique en Colombie est en nette augmentation : 100 assassinats politiques en 1980, 1000 en 1985, 4000 en 1997, 8000 en 2001… Ces assassinats révèlent une situation d’insécurité extrême où, pour certains, la vie n’a plus aucune valeur. Pour la plupart, la responsabilité est portée par de nombreuses et puissantes forces paramilitaires (85 %) et par des groupes de guérilleros (15 %).
L’enlèvement est une autre pratique de violence très répandue : plus de 3000 personnes furent enlevées en 2001, ce qui donne une moyenne de plus de huit personnes par jour. 50 % sont attribués à la guérilla, 40 % à ce qu’on appelle en Colombie la délinquance commune et 10 % aux paramilitaires. Ce qui peut s’expliquer : la guérilla utilise l’enlèvement surtout pour des raisons financières, ils exigent des rançons. Les paramilitaires quant à eux ne s’appuient pas sur cette pratique, leur mission étant d’effectuer un « nettoyage politique », ils n’enlèvent pas leurs victimes, mais ils les assassinent. Le phénomène du paramilitarisme est en train d’augmenter considérablement, en nombre de membres ainsi que de victimes.
Cette violence se développe dans un contexte de culture et de trafic de drogue, notamment de cocaïne, qui profite d’une situation socio-économique en dégradation, spécialement au sein des populations paysannes.
L’impunité vient aggraver la situation dans le sens où il n’y a presque pas de perspectives d’application de la justice. La violence l’emporte sur le respect de la loi. La triple combinaison meurtrière « drogue - violence – impunité » produit une situation sociale humainement insupportable pour une grande partie de la population.
La plupart des victimes de la violence sont des personnes habitant les campagnes. Car le conflit a une forte composante rurale. Les enjeux majeurs sont liés aussi à la terre : propriété, utilisation, non seulement en raison de la culture de la cocaïne, mais aussi en raison de l’existence d’un territoire qui garde précieusement des sources importantes de minéraux et d’énergie, notamment de pétrole, non encore exploitées.
Au début du XXIe siècle, la société colombienne se dirige de façon dramatique vers une situation de véritable crise humanitaire.
B. L’EUROPE, PÔLE DE PROPOSITION ET DE CONSTRUCTION DE PAIX
Les implications internationales du conflit colombien commencent à devenir de plus en plus évidentes et dangereuses :
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La violence tuant des milliers de personnes chaque année, favorisant une attitude de mépris des droits de l’homme, et d’abord du droit à la vie : question tellement importante que celle-ci ne peut pas concerner uniquement les Colombiens
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Le trafic et la consommation de la drogue produite en Colombie touchant d’autres pays, notamment les pays industriels occidentaux
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La course aux armements des différents seigneurs locaux de la guerre engageant aussi les pays fabricants et les commerçants d’armes
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Des milliers de personnes déplacées cherchant refuge dans les pays voisins de la Colombie, aux États-Unis ou en Europe
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Le conflit détruisant de plus en plus l’environnement dans une zone amazonienne vitale pour la planète, etc.
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Dans cette situation, de nouveaux acteurs issus de la société colombienne s’engagent de mieux en mieux pour la paix à l’échelle locale et internationale. Ils travaillent sur place pour la paix, mais ils veulent également favoriser l’engagement de la communauté internationale.
Internationaliser les efforts de paix, briser l’ignorance, sinon l’indifférence, pour engager la communauté internationale dans une stratégie multilatérale pour la paix en Colombie, voilà une démarche qui a montré plusieurs fois sa pertinence et son efficacité. Élaborer une stratégie pour la paix engageant un ensemble d’acteurs locaux et internationaux est l’une des leçons qui peuvent être tirées de la solution pacifique trouvée au conflit centre-américain qui embrasait le Nicaragua, le Salvador, le Guatemala dans les années 1980. À côté des populations locales, engagées de façon très importante pour la paix, sept pays latino-américains ont constitué le groupe « Contadora » en vue d’utiliser leur puissance pour soutenir un plan de paix par la démocratisation et les réformes sociales. Ils ont compté sur le soutien de l’Union européenne qui a fortement favorisé le plan de paix présenté par M. Oscar Arias, Président du Costa-Rica à l’époque. Les actions diplomatiques, la pression internationale, l’appui logistique pour la paix venu de l’étranger, le soutien politique ont représenté entre autres des actions de la communauté internationale ayant beaucoup favorisé la pacification de cette région. Si les conséquences du conflit colombien s’internationalisent, il faut également internationaliser les efforts de paix. Il s’agit de favoriser de façon active une dynamique de « diplomatie internationale pour la paix ».
Actuellement, en raison des menaces de guerre se multipliant et se complexifiant, l’Europe (Union européenne, États, ONG, opinion publique, intellectuels, etc.) prend de plus en plus conscience de sa responsabilité pour la construction de la paix dans le monde. Celle-ci s’engage aujourd’hui beaucoup plus qu’avant dans la prévention des conflits, dans la négociation, dans la médiation, dans la reconstruction de la paix dans le monde. Malgré l’importance que prend cette tendance en faveur de la paix internationale, se sont surtout les États-Unis qui s’intéressent au conflit en Colombie et qui interviennent à leur façon. L’Europe commence à s’engager, de façon effective bien qu’encore discrète.
Le conflit colombien ne dévoilerait-il pas l’un des défis majeurs pour l’Europe de demain : celui de se positionner dans l’univers de la géostratégie mondiale en tant que pôle de proposition et de construction de la paix par la voie politique ?