Maxime ARQUILLIERE, Daniel RICHARD, Capucine PEIGNIER, Grenoble, janvier 2015
Les clans, source d’instabilité en Somalie
L’actuelle instabilité de la Somalie peut s’expliquer partiellement par l’une de ses caractéristiques structurelles : son système clanique. En effet, bien que la population somalienne soit relativement homogène du point de vue ethnique (l’ethnie somalie) et religieux (l’islam sunnite), elle est aussi caractérisée par un clanisme traditionnel, qui est un facteur central à la fois dans l’identité des individus, la vie politique, dans l’allocation des ressources, mais également dans le conflit actuel.
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Définition d’un clan
Les clans sont des sortes de familles au sens large, qui regroupent des individus unis par des liens étroits et héréditaires, caractérisés par un mode de vie (Exemple : les Issas qui sont nomades et ne sont pas attachés à une terre en particulier), une langue, un territoire, et des valeurs propres qui les distinguent les uns des autres. En Somalie, les clans sont au nombre de six, mais sont eux-mêmes subdivisés en différents sous-clans et sous-sous-clans, dont les critères de différenciation et les lignes de démarcation ne sont pas toujours clairement définis. Le système clanique crée donc une multitude de groupes et d’acteurs.
L’appartenance à un clan est patrilinéaire : même si la mère appartient à un autre clan, l’enfant appartient au clan du père ; un individu porte à la fois son prénom, celui de son père et celui de son grand-père. L’hérédité est ainsi centrale et explique que le clan soit une composante primordiale de l’identité des Somaliens. Les sous-clans sont des structures d’entraide primordiales pour pallier aux aléas du quotidien (pénuries, mariage, décès, etc.). D’autre part, le clan est la principale source de protection pour les individus vis-à-vis des autres clans.
Les relations traditionnelles entre clans
Les clans peuvent être rivaux et en perpétuel conflit, notamment quand leurs modes de vie diffèrent par exemple, ou pour des questions de territoire, mais les relations entre clans peuvent aussi prendre la forme d’alliances (scellées par des mariages le plus souvent). Il faudra noter que les alliances et conflits entre les différents clans (et parfois sous-clans) sont très mouvantes et aléatoires. Notamment, les clans minoritaires sont souvent contraints de s’allier avec des clans majoritaires pour leur survie.
Les différents clans ont développé leur propre justice coutumière et leurs instances de résolution des conflits qui permettent de maintenir la paix au sein des communautés, souvent par un système de compensation des délits prévu à l’avance et des négociations entre les chefs de clans. Cette justice traditionnelle (xeer) date du XVIè siècle et posait les fondements d’une égalité entre les membres plus avancée qu’en Occident à l’époque. Elle prévoit la justice au sein du clan et les négociations entre chefs de clans et définit des compensations pour chaque crime afin de conduire à la réconciliation. Dans cette justice traditionnelle (xeer), les compensations sont supportées par tout le groupe d’un individu et non de manière individuelle ; ce groupe (appelé diya) est un groupe réduit (100 à 1000 personnes) et est une subdivision du sous-sous-clan.
Pourquoi y a-t-il des conflits entre clans aujourd’hui ?
La répartition des clans sur le territoire somalien n’est pas toujours homogène. Dans un pays organisé sur le modèle fédéral où une certaine autonomie est laissée aux régions, il arrive que certaines d’entre elles soient habitées par un seul clan, mais parfois plusieurs doivent cohabiter, ce qui génère parfois des tensions liées aux luttes pour le pouvoir. D’autre part, la lutte pour le pouvoir central a également attisé les tensions entre clans, ce qui génère des conflits sans fin puisque tout clan qui arrive au pouvoir a tendance à favoriser les siens.
Les rivalités entre clans ont toujours existé, mais le système traditionnel (xeer), basé sur un ensemble complexe de diplomatie, d’échanges, de responsabilités et de compensations, faisait que l’ordre et la paix sociale étaient maintenus. C’est Siyad Barré qui, à son arrivée au pouvoir en 1969, a introduit ce pouvoir central au dépend des arrangements qui préexistaient, et en favorisant son propre clan. A sa chute (1991), les conflits entre clans se sont développés pour mettre la main sur ce pouvoir central et sur les avantages qu’il constitue.
Actuellement, la faiblesse de l’État central somalien qui peine à maitriser son propre territoire et doit faire face à des velléités sécessionnistes (Somaliland, Puntland) exacerbe la concurrence pour le pouvoir, les territoires et les ressources, et donc maintient les clivages entre clans. Par ailleurs, les affrontements entre clans peuvent aussi se faire dans le cadre de la justice au “prix du sang”, dans un système de vendetta, pour punir les crimes d’un individu. Les affrontements prennent alors souvent la forme d’affrontements entre les milices des clans qui organisent attentats, combats directs et exactions à l’encontre du clan ennemi.
La volatilité de ces structures représente ainsi un défi central pour les négociations de paix qui reposaient sur l’idée d’une représentation équitable des clans. Ainsi, le gouvernement est composé selon le principe de la représentation proportionnelle : la répartition se fait sur le principe des 4,5 : les 4 clans considérés comme majoritaires que sont les Darod, les Digil et Mirifle, les Dir, et les Hawiye, ont chacun 22,22% des postes, tandis que les autres clans minoritaires se partagent les 11,12% restant, nombreux sont les clans qui se sentent donc lésés et non représentés par ce gouvernement.
La question de la structure de l’État, la désirabilité d’un État en soi étant même pour une part remise en question, représente aussi un point de litige central. Une grande partie de la société somalienne vit de manière traditionnellement nomade et a une attitude résolument sceptique vis-à-vis d’une autorité centrale - qui s’explique également par les expériences faites pendant la dictature militaire. Les grands clans préfèrent une organisation fédéraliste où les différentes régions seraient largement autonomes et ne seraient intégrées que de loin à un État national fédéral, ce qui préserverait l’influence des grands clans sur certaines parties du pays. Mais les petits clans et les groupes minoritaires craignent que pareil modèle ne les désavantage. Une approche fédérale est aussi rejetée par les forces qui, comme par exemple Al-Shabaab, limitent l’importance des clans et veulent mettre à l’avant-plan l’identité musulmane commune sur la base d’un État unitaire islamique.
En Somalie, la faiblesse de l’État s’explique donc en partie par les frustrations accumulées par les clans exclus du pouvoir, ou par ceux qui choisissent de prendre les armes car ils ne se reconnaissent pas dans les décisions de l’État central.
Principales fédérations (groupes de clans) :
Éleveurs | Darood (représente 50% des somalis) ; Dir ; Issaq ; Hawiyé |
Agriculteurs | Digil ; Rahanweyn |
Clan des Tumaal (ou Midgan ou Bonn) | Considérés comme des “Intouchables” |
Notes
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Lettrine : image tirée du site melty.fr (www.melty.fr/un-journaliste-radio-a-ete-assassine-en-somalie-galerie-246252-788374.html)
Fiches associées
Fiche de bibliographie : Bibliographie : Les clans, source d’instabilité en Somalie
Maxime ARQUILLIERE, Daniel RICHARD, Capucine PEIGNIER, Grenoble, janvier 2015