Herrick MOUAFO DJONTU, Grenoble, juin 2013
Massacres, arrestations et condamnations d’étudiants à l’Université de Buéa (Cameroun)
Le refus ou la peur de la pensée critique.
Mots clefs : Résistance non violente | S'opposer à l'impunité | Université | Cameroun
L’Université de Buéa au Cameroun, une des cinq primipares nées de la réforme universitaire de 1993, est de façon récurrente le théâtre d’affrontements entre forces de sécurité, et étudiants. L’année 2005 aura été particulièrement meurtrière. Des étudiants vont être arrachés à la vie par les forces de sécurité parce que engagés aux côtés de leurs congénères pour une Université où le droit de penser, de s’organiser et surtout d’impertinence est une réalité. La triste mort de ces étudiants n’émoussera pas les autorités universitaires et politiques à faire recours à la force policière et même militaire pour mater l’expression des étudiants dans l’exercice de leur droit à la différence. En effet, depuis le mois d’octobre de l’année 2012, la liberté de penser et de s’organiser fait face à un retour à l’unanimisme et à l’autoritarisme. Le patron de cette institution universitaire, le Vice-Chancelor, lancé dans une prétention gérontocratique au mandarinat, a informé les étudiants regroupés au sein de leur principal syndicat dénommé, l’University of Buea Students’ Union (UBSU), qu’ils ne sont pas assez murs pour élire leurs représentants. Comme mesure, il impose que le bureau de ce syndicat soit remplacé par un collège d’enseignants dont la présidence sera assurée par lui.
Les étudiants déterminés à tuer l’imposture vont huer le Vice-Chancelor au début du mois de janvier de l’année en cours, et montrer leur capacité à ne pas laisser l’arbitraire faire son lit en milieu universitaire. Et pour échapper à cet arbitraire qui veut leur être imposé et éviter d’être transformés en régiments d’applaudissement lors de la jeunesse qui se déroule au Cameroun tous les 11 février, ils vont annoncer le boycott de cette fête. Cette annonce au boycott est perçue par les autorités universitaires et politiques à l’instar du gouverneur de la région du sud-ouest comme une déviation par rapport à la norme. Norme qui voudrait qu’il y ait d’un côté des sujets qui agissent et de l’autre des objets qui exécutent. Cette situation déclenchera une chasse aux impertinents. Des étudiants seront arrêtés, frappés, enfermés et traduits devant les barreaux.
Le 06 mars 2013, le président de l’UBSU, MINANG, après toutes sortes de brimades est jugé de façon expéditive et condamné à payer une caution de 500.000 Fcfa (près de 800 euro) par le tribunal de Buéa. Il ne devra sa liberté qu’aux pressions exercées par l’Association pour la Défense des Droits des Etudiants du Cameroun (ADDEC). Malgré cette condamnation visant à décourager les étudiants, certains vont par contre entamer une grève de la faim. Action qui de leur point de vue allait pouvoir échapper à la violence barbare des forces de l’ordre et de défense réquisitionnées pour la circonstance par le patron universitaire le 16 mai. Leur action non-violente ne sera pas du goût des forces de sécurité. Ils vont molester, brutaliser et arrêter les étudiants téméraires. Le campus va être transformé en champ de bataille et les étudiants vont céder leur place aux hommes en tenue.
L’autorité traditionnelle a même signé une déclaration au mois de février, au sujet de ces grèves à répétition sur le campus universitaire. Elle va considérer les étudiants impertinents comme manipulés, par des forces venues d’ailleurs, pour perpétrer des actes terroristes. Espérons que ces autorités ne demanderont pas l’aide des « gendarmes » du monde pour venir traquer les terroristes.
Il faut préciser que la récurrence des actes de violences en milieu universitaire pose le sempiternel problème des cadres de dialogue mis en place pour organiser le fonctionnement de l’Université. Comment s’organisent ces cadres ? Comment transformer ces cercles vicieux de la mort récurrente d’étudiants en cercle harmonieux d’un droit à la différence ? Comment renégocier la place et le rôle de l’Université dans la production du savoir, par une démarche de dialogue permanent avec la société ? On pourrait également se poser la question de savoir si le modèle de gouvernance universitaire qui accorde le primat à l’obéissance comme source première d’intelligence et limite l’esprit critique ne porte-t-il pas en germe la crise et les violences sauvages que l’on observe dans les campus à l’heure où l’articulation des savoirs est un défi à l’intelligence contemporaine.