Alia Al Jiboury, Paris, October 2006
Les relations jordano-américaines
Une victime des transformations au Moyen-Orient.
Keywords: Liberalism and peace | | | | | | | United States | Jordan
La Jordanie
La Jordanie est depuis longtemps un pays ayant adopté une politique modérée et ouverte vers l’Occident. Lors de l’annonce du plan américain pour le Moyen-Orient en 2002, ce fut certainement l’un des seuls pays de la région à ne pas être directement concerné étant déjà en train de procéder à des réformes économiques, soutenues par les Etats-Unis.
Cependant la Jordanie est aujourd’hui plus que jamais une victime indirecte de la politique américaine dans la région : de par sa situation interne, son manque d’eau et de ressources énergétiques, elle est dépendante de ses voisins et de leur évolution politique. Par conséquent, la Jordanie est tributaire non seulement des évolutions du conflit israélo-arabe mais aussi du devenir de son partenaire irakien.
Quelle est actuellement la relation qui unit les Etats-Unis à la Jordanie et quelle sont les conséquences indirectes de la politique américaine dans la région sur ce pays ?
Dans une première partie nous étudierons le lien américano-jordanien d’un point de vue économique et stratégique, puis dans une deuxième partie nous aborderons les conséquences de la situation en Irak sur ce pays. Pour finir nous traiterons du problème de la non résolution du conflit israélo-arabe.
I. La relation américano-jordanienne
La Jordanie est un Etat dépendant économiquement de l’aide extérieure, que ce soit celle venue des pays occidentaux aussi bien que des pays arabes l’entourant. Ce facteur représente un dilemme qui l’oblige à jongler entre une politique certes pro-occidentale mais ne devant pas froisser les susceptibilités arabes.
La position géographique de la Jordanie - située entre Israël, la Syrie, l’Irak et l’Arabie Saoudite - l’a rendue vulnérable mais lui a également fait jouer un rôle important de tampon entre ces adversaires potentiels, qui lui permettent de représenter un intérêt pour les Etats-Unis.
C’est donc cette position stratégique qui a motivé les américains à soutenir le Royaume et surtout la politique de cette monarchie hachémite.
L’histoire du soutien américain a commencé en 1951, époque à laquelle le Royaume jordanien avait annexé la partie de la Cisjordanie. La totalité des aides américaines de 1951 à 1997 est estimée à environ 3,9 milliards comprenant l’aide militaire et l’assistance économique (1).
Le niveau d’aide américaine a fluctué en particulier en 1991 en réponse à la sympathie du souverain jordanien pour l’Irak qui correspondit à une période de fortes tensions politiques internes ; le Congrès américain décida alors de suspendre l’aide américaine.
L’aide repris lorsque la Jordanie signa en Octobre 1994 le traité de paix avec Israël, après avoir cédé aux pressions américaines.
En 1997, la Jordanie se vit attribuer une rallonge à l’aide américaine dans le cadre de la politique de Clinton qui débloqua des financements sur 5 ans pour la paix et la stabilité au Moyen-Orient.
Durant l’année 2000, les jordaniens et les américains signèrent un accord de libre échange, le troisième pour les Etats-Unis et le premier avec un Etat arabe. Cet accord consista à éliminer les taxes et barrières commerciales en faveur d’un commerce bilatéral des biens et services issus des deux pays et la crétion de zones industrielles qualifiées. Ce fut un énorme bénéfice pour la Jordanie qui, combiné avec les zones industrielles israéliennes, a fait passé ses exportations de 10 millions de dollars en 1997 à 994 millions en 2004 (2).
En 2003, l’administration Bush décida de doubler l’aide américaine à la Jordanie dans le cadre de sa politique de « Guerre contre le terrorisme ».
Lorsqu’un nouveau gouvernement a été formé en 2003, le roi Abdallah II s’est posé comme défenseur de la démocratie et de la participation politique. La Jordanie devant être un pays musulman modèle » (3). En fait, la Jordanie entrepris une politique de modernisation du pays qui se traduisit par la libéralisation du marché de l’économie, notamment lors d’un accord passé en 2005 avec l’Europe qui prévoyait le même système de zone de libre-échange qu’avec les Etats-Unis.
Mais cette politique de modernisation comprend également un véritable effort d’alphabétisation de la population en coopération avec l’UNICEF et les Etats-Unis.
En 2005, après de nombreux appels à la démocratisation de la part de l’administration américaine et suite à la découverte de liens terroristes avec des jordaniens en Irak, un nouveau gouvernement a vu le jour chargé de réformer les institutions et d’accroître le pouvoir parlementaire. Le pays suit aujourd’hui une logique de modernisation (conforme aux attentes du FMI et qui comprend une réforme des institutions), mais nullement une logique politique car le pouvoir monarchique reste un pouvoir autoritaire.
II. Les conséquences indirectes de la politique américaine en Irak
Le dossier irakien est fondamental pour la Jordanie qui dépend énormément de son voisin du point de vue énergétique, mais aussi d’un point de vue des élites qui furent extrêmement liée l’une à l’autre.
Lors de la Chute de l’URSS, la Jordanie vit l’intérêt stratégique qu’elle représentait diminuer brusquement ainsi que les aides l’accompagnant. En effet, jusqu’en 1990, la Jordanie avait su jongler entre les deux camps et jouer un rôle tutélaire vis-à-vis des palestiniens dans le conflit israélo-arabe. Mais cet évènement fut suivi de prêt par la deuxième guerre du Golfe qui eut de lourdes conséquences sur ce pays. En adoptant une position de neutralité lors de ce conflit, le roi Hussein de Jordanie avait cru trouver un compromis entre une population habitée par le nationalisme arabe et une économie dépendante des avantages pétroliers offerts par l’Irak, opposé à la pression américaine et l’aide occidentale.
Cependant cette position de neutralité coûta chère au pays qui subit un ostracisme consécutif de la part des monarchies pétrolières et des Etats-Unis et l’entraînèrent au bord de la faillite. L’économie jordanienne avait été fortement fragilisée par le contrechoc pétrolier de 1980, et l’annonce de la diminution du gel des aides américaines mit son économie au bord de la banqueroute. Cette suspension, comme il a été dit précédemment, dura jusqu’en octobre 1994, date à laquelle la Jordanie signa un accord de paix avec Israël.
Durant les 13 années d’embargo imposé à l’Irak, la Jordanie connut un manque à gagner dû à :
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l’arrêt des livraisons de pétrole à prix réduit ;
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la faible capacité d’absorption du marché irakien en produits manufacturés jordaniens ;
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l’arrêt du trafic portuaire et routier sur la ligne Aqaba-Baghdad. De plus, le pays dut faire face à un flot de réfugiés venus d’Irak qu’il fallut intégrer.
La décision américaine d’attaquer l’Irak en 2003, entraîna de nouveau des conséquences pour la Jordanie : d’une part des conséquences économiques car après l’opération « pétrole contre nourriture » les exportations de pétroles avaient reprises, d’autre part une extension de la crise irakienne sur le sol jordanien dûe à des transactions commerciales réalisées par le régime irakien avec des membres de l’élite jordanienne. Les réseaux compliqués des relations commerciales avaient permis de façonner l’opinion des groupes politiques, des médias, des banquiers et des entrepreneurs. Le gouvernement hachémite adopta une position ambivalente, essayant à la fois de manoeuvrer entre des manifestations populaires de soutien à l’Irak et l’utilisation de bases militaires américaines dans le désert. Les risques étaient et perdurent importants car la scène politique jordanienne est restée longtemps parasitée par des subversions d’agents bassistes et des intérêts en commun avec l’Irak (4).
Mais l’enjeu le plus important reste le terrorisme. Le roi Abdallah II avait su afficher très tôt sa position sur la question, après les attentats de Septembre 2001. Il fut l’un des premiers chefs d’Etat à se rendre à Washington et à exprimer son soutien à la lutte contre le terrorisme (5).
Le 10 Novembre 2005, des attentats touchèrent directement Aman contre des hôtels fréquentés par des touristes. Ces attentats furent la preuve concrète que la Jordanie pouvait être un endroit où les intérêts étrangers seraient visés à l’instar de l’Arabie Saoudite. Le terrorisme en Irak est un réel danger pour la stabilité du régime hachémite car de nombreux attentats sont perpétrés par des natifs jordaniens, souvent soutenus par l’animosité de la population jordanienne à l’encontre de la politique américaine dans la région.
III. La non-résolution du conflit israélo-arabe et ses conséquences
Les liens qui unissent la Jordanie au conflit israélo-arabe sont forts pour deux raisons :
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la Jordanie a historiquement été un Etat incontournable dans les tentatives de résolution du conflit ;
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la population jordanienne est au moins à 50 % d’origine palestinienne.
La politique interne a de tout temps été touchée par des répercussions directement liées à la situation de ses deux voisins.
Depuis la signature du traité de paix avec Israël en 1994 et de facto du dégel de l’aide américaine, la marge de manœuvre du gouvernement jordanien s’est considérablement réduite. La Jordanie avait en effet misé sur la paix installée à sa frontière ouest et sur des bénéfices économiques. Les relations avec les Palestiniens de l’intérieur furent de plus en plus distantes, les Palestiniens ayant acquis leur autonomie de décision en Janvier 1996, lors du processus d’Oslo.
Cependant à la fin de l’année 2000, lorsque la deuxième Intifada éclata, et malgré la solidarité exprimée du gouvernement jordanien envers les Palestiniens, les tensions internes s’accentuèrent. En effet, l’explosion du processus de paix a signifié la montée en Palestine de mouvements proches des islamistes qui non seulement s’éloignèrent du trône hachémite mais de plus inspirèrent la rue jordanienne. A l’heure actuelle, l’inconfortable position jordanienne l’oblige à tenter d’améliorer le règlement de la question des réfugiés et ne lui laisse aucun autre rôle.
Le 24 Juin 2002, le Président G.W Bush fit son discours annonçant le projet du Grand Moyen-Orient (6). Ce texte représenta un réel tournant quant à l’implication américaine dans le processus de paix israélo-palestinien, qui sembla ne plus représenter une priorité. En effet, le discours était centré sur les réformes à faire en Palestine, sans aborder les contentieux du conflit. Depuis 2000, la situation est loin de s’être améliorée et cette évolution a de fortes conséquences sur son voisin.
La Jordanie qui a débuté une période de modernisation et adopté une politique pro-occidentale pendant la Guerre de 2003 en Irak, est d’autant plus fragilisée quant à l’évolution du côté israélo-palestien. L’opposition et la population en général, se radicalisent au fur et à mesure que la situation se détériore. Le pouvoir hachémite est de plus en plus contesté et le régime craint une extension du foyer de violence.
Lors d’une allocution du roi Abdallah II à l’occasion de l’inauguration du Centre de recherche stratégique de Medbridge, devant des parlementaires européens, en Octobre 2003, le roi a insisté sur deux questions importantes à ses yeux :
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la construction progressive d’un nouvel ordre démocratique en Irak, avec l’aide des instances internationales ;
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la résolution du conflit israélo-palestinien, dans le cadre du processus de paix prévu par la « feuille de route ».
Aujourd’hui, ces deux questions semblent inséparables et pourtant nécessaires à l’équilibre jordanien. La résolution de ces deux conflits est également liée à la politique américaine dans la région, seule grande puissance à avoir assez de poids. Aujourd’hui, la Jordanie est le pays arabe qui représente le mieux l’imbrication des dossiers irakiens et palestiniens tout comme l’enjeu de la politique américaine dans la région.
Notes
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(1) : Al Jazeera : 10/ 10/06 www.aljazeera.net
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(2) : « l’Orient arabe à l’heure américaine », d’Henry Laurens, Ed. Armand Collin,2004, p. 383.
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(3) : idem, p. 384.
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(4) : « Jordanie à l’heure du doute », Les Cahiers de l’Orient,2004 .
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(5) : Dossier spécial Jordanie,revue « Arabies », Décembre 2004.
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(6) : « l’Orient arabe à l’heure américaine », d’Henry Laurens, Ed. Armand Collin,2004, p.197.