Alia Al Jiboury, Paris, octobre 2006
Les relations égypto-américaines
Une alliance dans la durée.
Mots clefs : Libéralisme et paix | La démocratie, facteur de paix | Autorité politique | Gouvernement des Etats-Unis | Administration Bush 2 | Gouvernement égyptien | Elire démocratiquement les autorités | Etats-Unis | Egypte
Les relations bilatérales Egypte - Etats-Unis
Malgré une période de grandes tensions au Moyen-Orient, les relations entre l’Egypte et les Etats-Unis s’inscrivent dans la continuité. Ainsi la relation entre ces deux pays aux profils inégaux persiste et résiste aux différentes crises.
Même si ces relations n’auront jamais plus la même intensité qu’à l’époque où elles ont vraiment pris toute leur importance dans les années 70 avec Sadate, elles sont de celles qui doivent être maintenues.
Depuis 2003, la politique américaine a pris un nouveau virage en décidant de changer sa politique de soutien aux régimes en place. Comment la relation égypto américaine a-t-elle évolué et quelles ont été les conséquences de ce changement ?
Dans une première partie, nous expliquerons pourquoi l’Egypte est un pivot historique de la stratégie américaine, puis dans une deuxième partie, nous aborderons le rôle incontournable de ce pays dans la lutte anti-terroriste. Enfin, nous verrons comment l’Egypte a abordé la démocratisation influencée par les américains.
I. Un pivot historique de la stratégie américaine
L’Egypte est un pays incontournable dans la région du Moyen-Orient, de par ses 70 millions d’habitants, ses services de renseignements, son corps diplomatique et sa situation de pont entre l’Afrique et l’Asie.
Elle a su monnayer ce rôle stratégique dès les années 50, avec Nasser qui a mis sur table ses atouts en pleine guerre froide, à savoir (1) :
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intersection entre deux continents ;
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riveraine des deux côtés du canal de Suez ;
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leader des non-alignés ;
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voisine d’Israël.
Fin diplomate, Nasser n’a jamais pris le parti du camp communiste ni du camp capitaliste, tout en réussissant à soutirer des aides des deux côtés.
En 1970, l’arrivée d’Anouar El Sadate au pouvoir changea complètement l’orientation de la politique étrangère de l’Egypte. Un revirement stratégique s’opéra vers les Etats-Unis et les puissances occidentales. En plein regain de tensions entre les Etats-Unis et l’URSS, l’arrivée de l’Egypte dans le camp occidental lui permit d’obtenir 10 milliards d’aide supplémentaire de la part des américains. Le rapprochement américano-égyptien atteingnit son comble en 1977, lorsque le président Sadate prononça un discours devant la Knesset (le parlement israélien), mettant ainsi fin à plus de 30 ans d’hostilités.
A partir de ce moment, l’Egypte adopta une politique étrangère innovante et prit des initiatives. Le rapprochement égypto-américain pénalisa l’Egypte jusque dans les années 80 quant à sa position dans le monde arabe, mais la valorisa auprès des pays occidentaux. Sa plus ou moins reconnaissance d’Israël, sa libéralisation partielle du politique et son acceptation du système capitaliste, lui permirent de jouer un rôle de précurseur dans la nouvelle orientation de la politique arabe et d’en tirer un profit disproportionné.
L’arrivée de Moubarak dans les années 80, permit à l’Egypte de réintégrer la ligue des Etats Arabes dont elle avait été écartée après la visite de Sadate en Israël, mais ne changea pas l’orientation résolument proaméricaine du gouvernement. Le moment décisif fut la Guerre du Golfe, en 1991, durant laquelle Moubarak accorda un soutien politique, militaire, et aida les Etats-Unis à élargir la coalition aux pays arabes. En récompense, le gouvernement égyptien reçut une aide directe ainsi que l’annulation de sa dette de 15 milliards de dollars vis-à-vis des Etats-Unis et d’autres créditeurs.
Cependant, les années 90 constituèrent le déclin d’une relation très soutenue entre les Américains et les Egyptiens. L’Egypte cessa d’être un pays à la politique innovante, elle stagna et ne représenta plus autant qu’avant un enjeu vital de regain, car d’autres pays qui ne dépendaient pas essentiellement de l’aide américaine occupèrent le devant de la scène.
Même si les efforts égyptiens pour s’impliquer dans le processus de paix israélo-arabe ont paru s’amenuir tout particulièrement après la deuxième Intifada de 2000, l’Egypte a su être l’interlocuteur central en 2005, dans l’arrangement lié au retrait israélien de la bande de Gaza et la mise en place d’infrastructures sécuritaires palestiniennes.
La volonté des Egyptiens est, et a toujours été, de devenir un partenaire des Etats-Unis au même titre qu’Israël. Mais ce pays est limité au niveau de ses ressources et dépend essentiellement du tourisme et de l’aide américaine, ce qui ne lui permet pas d’être trop exigent à l’égard de son mentor. Cependant les Etats-Unis ne semblent pas vouloir mettre un terme à cette relation malgré les évolutions, l’Egypte ne jouera simplement plus un rôle central dans les préoccupations américaines.
II. Un pays incontournable dans la lutte anti-terroriste
Le gouvernement égyptien lutte depuis longtemps contre des mouvements islamistes d’opposition interne. Le terrorisme islamiste représente pour elle une grande inquiétude car ces mouvements sont très populaires dans le pays.
Au lendemain du 11 Septembre 2001, les Etats-Unis ont pris conscience de l’importance d’un allié comme l’Egypte dans la lutte contre le terrorisme. En effet, les réseaux de renseignements et les informations que détenait ce pays ont été déterminantes pour les américains, qui ont profité de la connaissance égyptienne en la maitère. Grâce aux réseaux égyptiens et à leurs renseignements, des arrestations ont été possibles dans tout le Moyen-Orient.
Le gouvernement égyptien a étendu sa collaboration avec les Américains jusqu’à permettre aux services secrets américains de transférer des prisonniers dans le pays, les privant ainsi des droits américains.
Mais cette relation privilégiée de l’Egypte avec les Américains met le gouvernement en porte à faux avec la population. En effet, aujourd’hui le gouvernement est proche des Etats-Unis et d’Israël, alors que la population égyptienne s’irrite de plus en plus massivement. Quant aux pays arabes, ils critiquent activement la politique égyptienne et la primauté qu’elle revendique. L’Egypte est perçue comme un pays pauvre qui se vend aux Américains et aux israéliens. Ces nombreuses critiques ne font que renforcer le désir du peuple égyptien de s’opposer à la politique de leur gouvernement, mais principalement en se tournant vers l’opposition islamiste. Ce qui a valu aux Frères Musulmans de remporter de nombreux sièges durant les élections de 2005.
III. Démocratisation pour l’Egypte ?
Les Etats-Unis dans leur projet du « Grand Moyen-Orient » avaient prétendu vouloir mettre fin à l’immobilisme et au soutien des régimes autoritaires de la région. La démocratisation était censée concerner tous les pays dans la suite de la vague irakienne, mais le gouvernement égyptien ne l’entendait pas ainsi car le Président Moubarak s’appuyait sur la continuité de son gouvernement pour prouver sa stabilité à l’égard des Etats-Unis.
L’automne 2003 fut le moment idéal pour le gouvernement égyptien pour annoncer des réformes assouplissantes du régime d’état d’urgence alors qu’une crise économique touchait de plein fouet le pays. Cette réforme permit au régime non seulement de montrer qu’il n’avait pas besoin de pressions américaines pour se réformer, mais aussi de poser les jalons d’une république héréditaire (2).
L’état désastreux du système éducatif égyptien est une réalité dont tout le monde a conscience. Mais les critiques américaines à son égard, le jugeant propice à la propagation de l’islamisme, bloquent l’opinion publique. Les Frères Islamistes surfent sur cette vague et parlent d’ingérence américaine dans le pays. Le ressentiment de la population à l’égard des Etats-Unis et d’Israël soupçonnés de vouloir imposer une culture de force, rend le processus de libéralisation économique difficiles.
Cependant, en juin 2004, l’Egypte conclut un accord d’association avec l’Union Européenne prévoyant un abaissement des droits de douanes et une aide au développement. Quant aux Etats-Unis, ils accordent une aide importante mais ne sont pas encore prêts à conclure un accord de libre-échange comme celui conclu avec les Jordaniens et les Israéliens.
L’opinion anti-américaine ne fait qu’augmenter avec l’invasion américaine de l’Irak et l’opposition demande avec de plus en plus d’insistance l’organisation d’élections pluralistes.
En février-mars 2004, Moubarak fit de nombreux voyages et se présenta comme le défenseur d’une construction américaine adaptée à la culture arabe. Il critiqua aussi vivement les Etats-Unis quant à leur prétendue volonté d’appliquer la démocratie sans frontière, alors que selon lui ils ne l’appliqueraient nullement dans le domaine des relations internationales.
Après de nombreuses contestations populaires quant à l’interdiction de la formation d’un parti politique par les Frères Musulmans et suite aux pressions américaines, Moubarak décida en 2005, d’accepter la tenue d’élections législatives pluripartites dans le pays, qui se soldèrent par une large victoire des Frères Musulmans.
La démocratisation de l’Egypte à l’instar de nombreux pays arabes pose un problème aux Etats-Unis qui y voient la percée des islamistes.
Depuis plusieurs années, la relation entre l’Egypte et les Etats-Unis a évolué et les Américains ont de plus en plus de mal à défendre les accords faramineux d’assistance à ce pays. L’Egypte est de plus en plus critiquée par des coalitions aux Etats-Unis qui sans rompre leurs liens avec ce pays réclament un réajustement de l’aide accordée, ce qui pourrait être désastreux étant donnée la dépendance de l’Egypte vis-à-vis des Etats-Unis.
Notes
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(1) : Extrait de la Revue Géopolitique, Octobre 2006, puf, p. 59.
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(2) : L’Orient arabe à l’heure américaine, d’Henry Laurens, Ed. Armand Collin, p. 375.