Samuel Nguembock, Paris, mai 2009
Analyse transversale des défis de la paix en Afrique
Réflexion sur les textes et expériences d’Irenees produits sur l’Afrique.
Mots clefs : La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Travailler la compréhension des conflits | Les difficultés d'une culture de paix dans une population ayant vécu la guerre | Afrique
Koïchiro Matsuura affirmait en 2006 que « l’Afrique mérite toute l’attention de la communauté internationale, d’abord parce qu’elle a beaucoup donné au monde, ensuite parce qu’en dépit des apparences, dont se nourrit l’afro-pessimisme, le monde a encore beaucoup à recevoir de ce continent ; enfin parce que l’Afrique, qui a décidé de prendre résolument en main son destin, a aujourd’hui plus que jamais besoin de la solidarité internationale. » Cette affirmation du Directeur de l’UNESCO semble, à notre avis, non seulement tracer les grands chantiers et défis à mettre en œuvre pour relever le continent, mais aussi et surtout, elle aborde les thématiques et réflexions majeures qui alimentent les différents courants de pensées centrés sur l’Afrique de nos jours. De la richesse culturelle et traditionnelle de l’Afrique pré-coloniale à la question de l’appropriation ou de la ré-appropriation du destin africain par les africains en passant par les courants de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme, ces phrases situent à des niveaux de perception différents les grands groupes de défis auxquels l’Afrique est confrontée.
La réflexion sur les défis de la paix en Afrique que nous nous proposons de donner dans le cadre du présent document, s’inspire des travaux réalisés par l’Institut de Ressources pour la Paix (IRENEES) en collaboration avec ses partenaires africains. Ces travaux menés quasi exclusivement par certains théoriciens et praticiens africains visent à penser l’Afrique à partir du continent et s’inscrit dans une logique de déconstruction du discours pessimiste occidental sur l’Afrique. Parmi ces travaux, nous nous référons principalement aux séminaires tenus respectivement à Johannesburg en 2007 en Afrique du Sud, dans les Grands Lacs et au séminaire international co-organisé par le Collectif des Ligues et Associations de Défense des Droits de l’Homme et la Fondation Charles Léopold Mayer à Kigali, en octobre 1994.
L’objectif de notre analyse est d’identifier et de recenser les défis transversaux constituant un enjeu majeur pour la paix en Afrique en tenant compte, à la fois, des dynamiques endogènes et exogènes liées à la question africaine, et des facteurs structurels et conjoncturels de ces défis. Nous n’entendons pas faire ici un résumé des travaux antérieurs mais relever dans chacun de ces derniers, les thématiques, en termes de défis, abordées dans les analyses, afin de présenter une réflexion globale et actualisée sur les défis de la paix en Afrique, d’une part. D’autre part il s’agit d’apprécier, à juste titre, les efforts que l’Afrique a elle-même consentis pour régler ses problèmes, d’évaluer ses résultats et d’élaborer les perspectives de paix dans l’ensemble du continent.
La configuration géopolitique actuelle du monde laisse entrevoir une très forte interdépendance planétaire qui nous oblige à ne pas isoler les trajectoires de nos analyses dans un contexte exclusivement fermé au continent africain. Les puissances, Etats et organisations partenaires de l’Afrique sont des acteurs incontestablement incontournables dans le processus de pacification du continent. C’est pour cette raison que notre réflexion, visant certes, la valorisation du savoir-faire africain dans le domaine de la paix, s’articule autour d’une approche globale, interdisciplinaire et inclusive. L’idée est de dépasser, à terme, les querelles des périodes coloniale et post-coloniale autour de l’antagonisme idéologique Nord-Sud et l’afro-pessimisme pour poser les bases réelles et multidisciplinaires d’une construction pacifique du continent africain adapté à la définition des équilibres mondiaux actuels. Nous pensons qu’aborder les défis de la paix en Afrique sous le seul objectif de valoriser le savoir-faire africain serait réductif de la complexité du problème qui nécessite un assemblage des atouts multiples et opportunités disponibles. Sous ce regard, nous partageons la démarche d’une « co-responsabilité de la paix » telle que formulée par IRENEES.
I. Etat des lieux et enjeux
L’Afrique au 21ème siècle est un continent caractérisé par l’extrême pauvreté, le sous-développement, les conflits de tout genre, la corruption, la mal gouvernance etc. Autant de mots et concepts péjoratifs qui laissent l’Afrique abordée comme « figure d’exception », continent chaotique. Pour déconstruire cette image et ce discours, l’Institut IRENEES a organisé un atelier de paix en Afrique du Sud sous le thème : « Rwanda : déconstruire l’image de l’ennemi, réconcilier et reconstruire/ Afrique du Sud, réussir les transitions par la transformation des rapports sociaux », afin de valoriser le savoir-faire des africains en matière de construction de la paix, un savoir-faire qui, selon les termes d’Henri Bauer, est resté ni connu, ni valorisé à la fois par la communauté internationale et par les africains eux-mêmes.
Par ailleurs, il est établi que l’Afrique est le seul continent au monde où la pauvreté est en progression et, au rythme actuel, l’absolu pauvreté concerne environ 51 % des populations du continent qui compte déjà 34 des 49 pays les moins avancés du monde. Les travaux de la Commission pour l’Afrique en 2005 attestent cet état de faits. Cette situation de l’Afrique est aggravée par l’absence de solution aux conflits historiques du continent. Conflits dont la décennie 1990 a vu l’émergence d’un leadership typiquement africain résolu à s’approprier les mécanismes de pacification du continent.
Les travaux suscités ont identifié respectivement les défis liés à la reconstruction du Rwanda, les défis de la paix en Afrique du Sud et les grands défis de la région des Grands lacs douze ans après le génocide. A la lecture de ces travaux, on peut retenir les défis communs à l’Afrique liés à l’exercice du pouvoir, à la propriété de la richesse, la gestion des ressources naturelles, la manipulation des référents identitaires, la faillite des institutions politiques et de l’Etat de droit, l’ingérence des puissances étrangères, la montée du pouvoir des organisations criminelles, locales, nationales et internationales, la question de la gouvernance, l’ethnicisation du pouvoir politique, la corruption, l’impunité.
En ce qui concerne la construction de la paix post-conflit, ces travaux s’attèlent à montrer que la méconnaissance des causes des conflits et l’identification limitée de la nature de la violence constituent un handicap à la construction de la paix en Afrique. Constat appuyé, dans une certaine mesure, par la déclaration de l’UNESCO qui indique que : « les guerres naissent dans l’esprit des hommes et c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut ériger les barrières de la paix. »
D’autre part, ces différents travaux ont mis en évidence les initiatives africaines de construction de la paix. Initiatives qui s’érigent en réponses à l’instabilité et à la violence structurelles du Continent pour montrer qu’il y a, certes, conflits et pauvreté en Afrique mais qu’il y a aussi construction de la paix. Ces Initiatives africaines sont observables à plusieurs niveaux :
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Au niveau politique, des initiatives ont été prises et ont abouti au dialogue entre les belligérants, la signature des accords de paix, la réforme du pouvoir
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Au niveau diplomatique, des efforts ont été consentis en matière de négociation, de médiation, voire de sanction
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Au niveau juridique, des initiatives ont pu être observées dans le domaine de la promotion de l’Etat de droit, le règlement des différends
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Au niveau militaire, l’Union africaine est parvenu, en collaboration avec l’ONU et ses partenaires européens, à déployer les forces de maintien de la paix sur plusieurs théâtres de conflit
Les auteurs de ces différents travaux ont souligné la nécessité de reconnaître et de valoriser la culture africaine en matière de construction de la paix en prenant l’exemple de la pratique sud africaine de l’« UBUNTU » qui, selon Joseph Kizerbo, « n’est pas une solidarité ethnique avec ce que ce mot contient de charge trouble et équivoque en référence à une identité close potentiellement explosive ». C’est un instrument de paix qui facilite la réconciliation entre des peuples qui étaient hier en conflit. Parmi les instruments abordés, une place particulière a été réservée à la Commission Vérité et Réconciliation mise en place sous l’égide de Mgr Desmond TUTU pour faire la lumière sur les atrocités commises pendant le régime d’apartheid et les nobles actions de l’emblématique Nelson Mandela.
II. Perspectives et recommandations
Nous partageons entièrement ce souci de valorisation du savoir-faire africain en matière de construction de la paix et nous nous inscrivons dans la continuité de ce processus. Mais nous pensons que si l’objectif de cette valorisation est d’aboutir à la pacification du continent, un certain nombre de défis à relever doivent y être associés et actualisés. Il nous semble judicieux d’interroger la co-responsabilité des différents acteurs, à la fois, à l’origine des hostilités et impliqués dans les processus de pacification du continent, de situer ces instruments de paix en fonction des réalités de chaque pays, si tant est vrai qu’il existe des « Afrique » et que des expériences réussies en Afrique du sud trouveraient du mal à s’adapter dans d’autres pays africains.
Le processus de construction de l’Etat en Afrique nous semble être un défi majeur pour parvenir à la pacification du continent et éviter une nouvelle typologie de conflit en Afrique. On peut se rendre compte que depuis les indépendances en Afrique, notamment subsaharienne, ce processus s’inscrit dans une logique de « construction inachevée – déconstruction » sans réellement entamer une construction durable de l’Etat en Afrique. Les opérations de maintien et de consolidation de la paix observées jusqu’ici s’inscrivent, à notre avis, dans une logique de construction purement transitionnelle. Or en Afrique, il ne s’agit pas d’une construction de la paix au sens d’un cessez-le-feu mais d’une construction durable de la paix. Et sur ce dernier plan, nous pensons que la pacification de l’Afrique nécessite l’apport de tout le monde puis qu’il s’agit d’élaborer un travail qui consiste à éradiquer les causes de la violence qui relèvent elles-mêmes de plusieurs ordres et à consolider ensuite la paix. L’émancipation sécuritaire de l’Afrique et l’appropriation africaine de la consolidation de la paix nécessitent au préalable, des ressources humaines capables de construire des institutions étatiques viables.
En ce qui concerne la question liée à la responsabilité africaine face à la « dénaturation » de la réalité positive du continent telle qu’évoquée dans les textes à étudier, nous pensons qu’il est nécessaire que les Africains, en réponse à cette méconnaissance de l’Afrique, développent les institutions et des espaces d’expression culturelle, économique et politique fiables avec un personnel adapté capable de promouvoir et de valoriser à l’échelle continentale et mondiale les expériences et les savoir-faire typiquement africains dans le domaine de la construction de la paix comme l’Ubuntu et le Gacaca.