Actualités non-violentes, Rouen, mars 2006
Les déboulonneurs : logique et terminologie de l’action non-violente
Les déboulonneurs appliquent la non-violence et la désobéissance civile dans le cadre d’un problème actuel, la prolifération incontrôlée de la publicité.
Mots clefs : Résistance civile de masse | Liberté d'opinion et d'expression | Stratégie non violente | Campagne médiatique
I. La logique de l’action non-violente
À y regarder de près, la non-violence est au cœur du dispositif lancé par le Collectif des déboulonneurs. Outre les attitudes joyeuses, plus aptes à séduire le passant qu’à le faire fuir, les barbouillages ont lieu en plein jour et les transgresseurs sont prêts à assumer leurs actes devant la police et les tribunaux. De plus, ils ont choisi d’opérer le 4e vendredi, samedi ou dimanche de chaque mois, ce qui va donner du piment à l’action, car, si deux villes, Paris et Rouen, ont commencé à barbouiller en novembre 2005, six sont au rendez-vous de mars. Combien seront-elles à la fin de 2006 ? Vingt, trente ? L’effet contagieux est au cœur de la logique non-violente, et elle n’est pas sans rappeler ici la façon dont Martin Luther King et ses amis opéraient aux États-Unis pour créer des groupes d’action pour que les Noirs conquièrent leurs droits civiques.
L’objectif des déboulonneurs est « précis, limité et atteignable » (Jean-Marie Muller), à savoir : obtenir des pouvoirs publics une nouvelle loi et un décret d’application qui ramènent la taille des affiches à 50x70 cm et limitent les dispositifs à 2 m² maximum, avec une densité raisonnable fonction du nombre d’habitants. Cet objectif précis et limité constituera une première brèche dans le système publicitaire.
La désobéissance civile ne concerne que les barbouilleurs. Les spectateurs des actions, si importants pour que le barbouillage soit un événement, eux, ne risquent rien au regard de la loi. Il leur suffit de se mettre « à circuler » si la police le leur demande.
Tout le monde peut participer aux actions de barbouillage, y compris les personnes handicapées, à la différence d’une action violente qui, elle, requiert des aptitudes généralement réservées à des personnes sportives. Les barbouillages ont donc tout pour être populaires, et l’on a même vu, à une action du 23 décembre, des activistes non-violents venir avec leur enfant dans une poussette. La non-violence rassemble, alors que la violence fait peur et disperse, c’est toujours la même histoire.
II. Désobéissance civique ou civile ?
« Désobéissance civique » résonne joliment, renvoyant au terme « citoyen », mais cette expression est-elle pour autant préférable à « désobéissance civile » ?
Toutes deux signifient qu’il y a désobéissance à une loi estimée injuste par le transgresseur - un délinquant d’après la loi. Aucune loi d’un État n’est éternelle, et il est du devoir du citoyen d’intervenir auprès du législateur, directement ou indirectement, selon les cas, chaque fois qu’une loi est jugée injuste. Tout ce qui est légal n’est pas forcément légitime, car « ce n’est pas la loi qui doit dire ce qui est juste, mais ce qui est juste qui doit dicter la loi. » (1)
La « désobéissance civique » et la « désobéissance civile » ont en commun le caractère citoyen d’une action engagée : ce sont chaque fois des citoyens qui, face à une loi qu’ils désapprouvent, incitent d’autres citoyens à les suivre dans leur refus, tout en assumant cette désobéissance. Mais il y a quelque chose de plus dans la « désobéissance civile » ! « Civile » et « civique » ont la même racine latine qui renvoie à la cité, au citoyen, mais le terme « civile » ajoute une notion que « civique » n’apporte pas : la civilité ! On peut agir en tant que désobéissant civique sans aucune civilité ! C’est par exemple le cas des commandos anti-IVG aux États-Unis !
En parlant dans ses textes de « désobéissance civile », le Collectif des déboulonneurs entend bien signifier que le barbouillage et l’animation de rue se déroulent avec civilité. Concrètement, sur le terrain, cela veut dire que les passants et les voitures ne sont pas bloqués mais peuvent continuer à circuler, qu’il n’y a pas d’outrage à agents de police, parce que la courtoisie prime tout le reste, y compris si un jour un barbouilleur se fait plaquer au sol puis menotter.
Parce que la civilité est un attribut de la dynamique non-violente, les déboulonneurs ont choisi de parler de « désobéissance civile », sans aucune envie de polémiquer avec ceux qui en France parlent de « désobéissance civique ». Si, par ailleurs, les déboulonneurs emploient l’expression « désobéissance civile », c’est aussi pour inscrire leur combat dans celui de la longue et belle tradition de « désobéissance civile » qui a commencé avec Gandhi et qui n’est pas près de s’arrêter.
« Un acte de désobéissance civile est un acte public, non-violent, décidé en conscience mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. » (2)
Les barbouilleurs veulent des procès ! Écrire des mots à la bombe de peinture sur un dispositif publicitaire ce n’est pas le taguer. Attention, il ne faut pas que les barbouilleurs acceptent le mot « tag » sur leur déposition au poste de police car il existe une loi sur les tags, alors qu’un graffiti dépend d’une autre loi moins répressive.
Le grand plaisir des barbouilleurs est de récidiver chaque mois, ce qui donnera du sel à leurs procès, lesquels sont conçus pour être des caisses de résonance du combat antipublicitaire. Cette volonté d’aller jusqu’à des procès rappelle à certains les actions des paysans du Larzac à la fin des années 1970. Y aura-t-il amendes, peines de prison ? Personne n’en sait rien, mais chacun peut déjà deviner que c’est là que tout va se décider. Soit, grâce à leurs procès, les déboulonneurs auront gagné à leur cause la majorité de l’opinion publique, et il faudra que les pouvoirs publics changent la loi de 1979 sur l’affichage, soit les déboulonneurs auront perdu leur combat et l’invasion publicitaire se poursuivra alors de plus belle.
Est-ce une violence que d’inscrire des mots avec des bombes de peinture sur un panneau publicitaire ? Non, il s’agit d’une dégradation. C’est la loi française qui le dit. Si ces mots sont injurieux, ils peuvent être appréciés par un magistrat comme étant une violence morale, ce qui n’est aucunement le cas s’il est écrit par exemple : « PUB = POLLUTION », « PUB = VIOLENCE », {« HALTE AU MATRAQUAGE », etc. Si les barbouilleurs du Collectif des déboulonneurs sont poursuivis devant les tribunaux, il leur sera reproché d’avoir dégradé des affiches, avec le plus souvent la récidive comme circonstance aggravante.
François VAILLANT (*)
Notes
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(*) Philosophe. Auteur notamment de La non-violence. Essai de morale fondamentale, Paris, Le Cerf, 1990.
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(1) Cf. Jean-Marie MULLER, Dictionnaire de la non-violence, Gordes, Le Relié, 2005, p. 102.
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(2) : John RAWLS, Théorie de la justice}}, Paris, Seuil, 1987, p. 405.