Fiche d’analyse

, Paris, 2002

La résolution des conflits au coeur de la mondialisation, les enjeux actuels de la construction de la paix

La construction de la paix devient aujourd’hui un enjeu majeur des relations internationales, en tant que préalable ou condition nécessaire à l’idée d’un développement “durable” et inversement

Mots clefs : Dialogue social pour construire la paix | Action civilo-militaire pour la paix | Collaboration entre monde des affaires et secteur humanitaire | L'infrastructure au service de la paix | Organisation humanitaire et paix | Militaires | Communauté Internationale | Entreprise | Présenter des réformes pour un nouveau projet de société | Réformer les rapports sociaux | Ex-yougoslavie | Les Balkans | Kosovo | Bosnie | Sarajevo

L’étude des relations internationales suppose, en ce début de 21e siècle, le recours à une grille d’analyse renouvelée. La fin de la guerre froide, et avec elle la chute du mur de Berlin, ont en effet profondément modifié les rapports entre les nations. C’est en quelque sorte un nouveau monde qui a vu le jour ces quinze dernières années.

Longtemps, l’affrontement entre les deux superpuissances qu’étaient les Etats Unis et l’URSS a figé le système dans une dialectique de rapports de force stratégiques. Ceux-ci s’exprimaient surtout par conflits interposés, mais l’exacerbation des rivalités a parfois approché de son paroxysme (crise des euromissiles, crise de Cuba..).

Paradoxalement, durant la même période, les années que l’économiste français Jean Fourastié a qualifiées de « Trente Glorieuses » ont fait prospérer la planète comme jamais auparavant : croissance forte et régulière, progression des salaires, plein emploi…A tel point que l’horizon de la guerre a semblé reculer pour la première fois depuis longtemps. Comme l’explique René Rémond, « l’heure fut alors à un optimisme raisonné : tout ou presque concourait à inspirer confiance dans l’avenir et dans le pouvoir de l’homme de l’orienter comme il souhaite »1. L’homme se met alors à croire que l’éradication des grands maux de l’humanité (la guerre, la pauvreté, la faim, la maladie…) est possible.

Tout cela contraste nettement avec la situation d’aujourd’hui. La crise des années 1970-80 a confronté la planète à de dures réalités, et le monde en a été profondément et durablement modifié. En cela, la fin du vingtième siècle aura marqué un tournant historique de la vie des hommes et des liens entre les peuples.

Aborder une question des relations internationales, en ce début de millénaire, en revient rapidement et inéluctablement à évoquer les thèmes de la mondialisation et de la globalisation, notions génériques qui se sont affirmées ces dernières années pour rendre compte de l’évolution du système international. En raison notamment des extraordinaires progrès dans les domaines scientifiques, technologiques et des télécommunications, l’on assiste en quelque sorte à une réduction artificielle du temps et de l’espace. Les hommes, les idées, les marchandises ou encore les capitaux circulent plus rapidement et plus facilement que jamais. De la même façon circule l’idée d’une universalisation des enjeux et de l’avènement d’un monde d’interdépendances, que celles-ci concernent les faits économiques , politiques ou sociaux.

Quoi qu’il en soit, le monde vit, dans tous les domaines, une période de profondes mutations, porteuses d’une formidable dynamique, faite à la fois de progrès et de menaces. Ce monde en gestation donne naissance à de nouveaux risques, à de nouveaux atouts et à de nouveaux enjeux. La manière d’affronter les grandes questions internationales a profondément changé et les principales idées-force ont une origine plutôt récente. De nouvelles manières de voir, de penser, de travailler voient le jour et semblent vouloir structurer durablement la vie de nos sociétés. Certaines idées, qu’il s’agisse des droits de l’homme, du développement, de la protection de l’environnement ou encore de la gestion de la violence, s’affirment chaque jour davantage et transforment la pratique politique internationale. Ainsi que le remarque Henry Kissinger, « jamais encore un ordre mondial n’a dû s’instaurer à partir de tant de perspectives différentes ni sur une telle échelle »2.

Au cœur de la mondialisation, les inégalités de richesse tendent à se creuser, et cela n’est pas sans conséquences sur le plan des rapports entre les peuples. Face à la logique capitaliste et aux valeurs véhiculées par la globalisation, on assiste à des réactions de type identitaire et à des replis sur un univers plus restreint, ressenti comme plus sécurisant. Bref, schématiquement, la planète semble osciller entre « la fin de l’histoire » évoquée par Francis Fukuyama3 et « le choc des civilisations » présenté par Samuel Huntington4.

Dans ce contexte finalement incertain, les conflits perdurent ; cependant, avec la fin de l’antagonisme est-ouest, ils ne trouvent plus leur sens profond dans une logique bipolaire mais s’expliquent davantage à l’échelle locale ou régionale. Ce qui ne signifie pas qu’ils se jouent dans l’indifférence générale. Car de la même manière que se constitue un monde de réseaux et d’interdépendances dans le domaine économique, l’idée d’une responsabilité de la société internationale vis à vis de ses membres fait son chemin. La recherche de la paix se veut universelle et sa construction un impératif pour tout pays aspirant à la prospérité. Elle devient un enjeu majeur des relations internationales, en tant que préalable ou condition nécessaire à l’idée d’un développement “durable” (et inversement), au sein d’un monde post-westphalien qui tend au multilatéralisme.

Mais que suppose-t-elle comme investissements (en termes humains, matériels, financiers), comme acteurs (politiques, économiques, civils) et comme dimensions (éthique, symbolique) ?

Dans ce nouveau contexte international, se pose une question centrale : celle de la sécurité et de la liberté des personnes. Elle représente comme un défi pour les différents acteurs concernés : responsables politiques, acteurs humanitaires et même dirigeants économiques. Les thèmes de la paix, des droits de l’homme résonnent comme un refrain dont la musique s’insinue peu à peu dans les esprits . Des tentatives de réponses sont avancées, des nouvelles pratiques sont constatées : élaboration d’un droit international humanitaire, pratique d’intervention dans les affaires intérieures d’un pays lorsque la situation de celui-ci atteint un point de non-retour, politique de coopération et d’aide au développement, exercice de la solidarité internationale…

Face à la guerre, la communauté internationale ne veut plus rester inactive, mais les contraintes qui pèsent sur son action sont d’importance, car elle se heurte à des intérêts et à des aspirations contradictoires, d’ordre économiques, politiques ou stratégiques. De graves problèmes de sécurité, liés parfois à la déliquescence de toute autorité et à l’atomisation de la société, parfois au rejet pur et simple des principes d’humanité, mettent à l’épreuve les ambitions d’une régulation internationale. L’affaiblissement des Etats, le recul des certitudes idéologiques, les interrogations sur la mondialisation, les défis posés par l’environnement, la croissance démographique, le développement technologique , la construction de la paix, exigent une approche et une vision globales et à long terme. C’est le principe de responsabilité qui est en jeu et qui exige tout aussi bien des décideurs politiques, des multinationales ou encore des organisations humanitaires qu’ils s’interrogent sur le rôle qu’ils ont à assumer. Ce questionnement doit concerner non seulement leurs actions respectives mais aussi les espaces de coopération et de synergie nécessaires à la mise en place d’une dynamique partenariale. Les réflexion que cela suppose font désormais l’objet d’études, de colloques, de publications, permettant l’échange, la rencontre et la discussion.

Pour un pays qui vient de subir une longue période de conflit, c’est à dire une période où la société se fige sur elle-même, l’on voit le chemin qu’il y a à parcourir avant de pouvoir parler de paix et de développement durables. C’est pourtant tout l’enjeu de la nécessaire articulation opérationnelle et spatio-temporelle entre les différents opérateurs de l’urgence et prestataires du développement. C’est pourquoi l’on peut vraiment parler d’un chantier pour l’avenir, d’un défi pour la paix.

La résolution des conflits dans les Balkans, parce que la situation de violences qui y a prévalu occupe schématiquement un statut charnière entre deux grandes époques géopolitiques, à savoir la guerre froide et la globalisation, ouvre un large faisceau de perspectives, qui va de l’action politico-diplomatique traditionnelle à la mise en œuvre de processus nouveaux, dont la responsabilité est partagée entre un panel d’acteurs aux intérêts et aux objectifs variés. Le constat effectif que l’on peut faire est que la paix est une construction extraordinairement complexe, aux multiples facettes : politiques, diplomatiques, économiques bien sûr, mais aussi symbolique, psychologique et humaine. On comprend dès lors qu’il ne soit pas possible à un type d’acteurs de gérer seul un tel éventail.

Aujourd’hui, plus que jamais parce que nous vivons dans un monde caractérisé par des interdépendances complexes , les responsables politiques, économiques et ceux de la société civile sont impliqués dans cette perspective qui veut (ré)concilier l’urgence et le développement, le court et le long terme.

Notes

  • 1 René REMOND, Regard sur le siècle, Presses de Sciences-po, 2000, p.59

  • 2 Henry KISSINGER, Diplomatie, Paris, Fayard, 1996, p.18

  • 3 Francis FUKUYAMA, La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992

  • 4 Samuel HUNTINGTON, Le choc de civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997