Delphine Leroux-Astier, Grenoble, France, February 2006
L’élaboration d’un programme de développement régional tenant compte de la dimension ethnique
Comment penser le développement de manière concertée ?
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Richesse du territoire, pauvreté des habitants
En 2003, le rapport publié par le Programme des Nations Unies pour le Développement – PNUD sur la pauvreté en Colombie constate que le niveau de l’indigence est passé de 21,8 à 28,9 % entre 1997 et 2003, qu’un Colombien sur quatre souffre de la faim et que le Choco a dix ans de retard sur le reste du pays. Le taux d’analphabétisation de ce département est le plus élevé du pays. La situation est d’autant plus anormale que ce département est donné pour être celui qui reçoit le plus d’aide ; ceci témoigne d’un des maux dont souffre le plus le pays : la corruption, contre laquelle le gouvernement dit vouloir lutter en effectuant d’abord un repérage des dysfonctionnements et des actes délictueux.
Le développement des populations afrocolombiennes et indigènes peut-il être pensé autrement que de manière concertée ? Il est tout à fait improbable que les autorités, de quelque niveau que ce soit, investissent pour désenclaver les différentes communautés prises individuellement. Ce territoire reste une terre à conquérir, en dépit des droits qui ont été reconnus sur elle par le président précédent qui a remis aux communautés des titres de propriété collectifs. Aux dires des habitants, tous ces problèmes sont simplement liés à la « colonisation » du Choco par le département voisin de l’Antioquia.
Les entreprises sont très présentes dans la région : à Murindó, c’est une entreprise cubaine qui exploite les mines. L’entreprise Maderas del Darien exploite le bois, donne de l’argent indifféremment aux deux acteurs armés illégaux, selon la zone. L’entreprise de palme africaine Urapalma séduit les habitants avec des prêts de 5 millions de pesos pour cultiver la palme. Et les habitants qui n’ont pas d’opportunité, n’ont pas le choix. Il n’y a pas de vision d’ensemble d’un développement régional. Que ce soit à cause de la corruption ou de l’absence de concertation avec les habitants, dans cette région, l’argent ne se transforme pas en développement.
Le programme pour la reconstruction et le développement durable du Bas et Medio Atrato
Avec la tragédie de Bojayá (2 mai 2002), au cours de laquelle 119 personnes réfugiées dans une église, ont été tuées, victimes d’un affrontement entre les FARC et les paramilitaires, le regard du pays s’est tourné vers la région oubliée du Chocó. Le gouvernement, à travers le Département National de Planification a émis des recommandations dans le CONPES 3180 de juillet 2002 s’intitulant « Programme pour la reconstruction et le développement durable de l’Urabá Antioqueño et Chocóano et Bas et Medio Atrato ». Ce programme, mis en place conjointement par le PNUD et le Département National de Planification, a pour objectif de favoriser une rencontre entre les communautés de base et les instances étatiques et d’articuler ces propositions. Le but du programme est que les communautés acquièrent quelques outils, quelques capacités de gestion, pour que l’Etat puisse les appuyer. L’un des buts du programme est également de faire baisser l’impact de la violence dans la zone.
Le Département Nacional de Planification joue un rôle de coordination et de planification. En dépit de ses lenteurs et du manque de moyens propres il demeure un instrument fondamental du développement organisé et de l’intervention concertée des différents ministères concernés. En l’occurrence, il est effectivement directement responsable de la poursuite du projet de développement ethno-régional pour lequel une unité de gestion de quatre personnes vient d’être constituée à Quibdo et qui, outre la coordination, aura à définir deux ou trois projets « structurants » et à encourager le renforcement institutionnel localement. Par ailleurs la référence à une réflexion autour de l’Agenda 21 semble toujours exister (« Agenda Pacifico 21 » ).
L’autre acteur important de ce projet de développement ethno-régional est le PNUD qui, avec le Département national de planification, impulse le développement dans cette zone pour réduire le conflit. Ces deux organisations coordonnent les actions gouvernementales dans la région (par exemple, avec le Ministère de l’Agriculture, pour que les « centres d’assistance technique » , qui devraient être créés, fonctionnent en concertation avec les populations concernées, ou avec le Ministère des transports qui envisage l’amélioration du transport entre Quibdo et Cartagena) et cherchent à renforcer les communautés pour qu’elles participent à ce programme de développement avec les autorités locales, de terminer la phase préparatoire et qu’ils travaillent à l’identification de trois lignes d’action stratégiques : le conflit ; la terre ; la sécurité alimentaire.
Le travail d’élaboration du plan d’ethno-développement a été pensé en deux phases :
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Une première phase durant laquelle les communautés ont pensé leur futur : c’est l’auto-diagnostic.
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Une seconde phase au cours de laquelle les communautés vont se concerter et négocier avec les institutions de l’Etat et la coopération internationale.
Les organisations indigènes (l’OREWA et l’OIA) et afrocolombiennes (COCOMACIA, ASCOBA ) de la région représentent les communautés afin de faire émerger des propositions
Les propositions doivent être sous-tendues par une vision d’ensemble afin d’aider à la construction d’une vision régionale. Dans cette démarche, l’appui aux organisations de base est décisif.
Des réunions se sont tenues à Bogotá avec différents ministères (de l’Intérieur, du transport etc.), l’INCORA etc. Ces rencontres sont marquées par deux visions, deux réalités opposées. D’un côté, les habitants qui ne veulent pas de grands projets (routes, ports, etc.), et veulent se développer conformément à leur tradition, en répondant à leur besoin de base par une agriculture de subsistance (« pan coger »). De l’autre, les ambitions nationales pour cette région, avec les projets d’infranstrucutres de transport, de ports, de routes ; car la globalisation de cette zone est une réalité et que la « cuenca pacifica » va devenir une des régions les plus stratégiques dans le futur.
Commentaire :
Aujourd’hui, la première phase du programme a été réalisée et a donné lieu à un auto-diagnostic des communautés. Par contre, les communautés déplorent le fait que la deuxième phase du programme – celle de la mise en place des projets – ne soit toujours pas à l’ordre du jour, notamment du fait d’une absence de financement. En outre, même si l’opposition entre les perspectives de développement de la région vues d’en haut, et celles de ses habitants, est manifeste, il est important qu’un espace de dialogue existe. Dans la perspective d’un dialogue avec les autorités, il est capital d’accompagner les organisations de base et de renforcer leur capacité, comme le font notamment les ONG et l’Eglise. Le défi est bien d’inclure les populations dans les projets qui les concernent pour qu’elles soient parties prenantes et non victimes du développement régional. Le chemin à parcourir pour atteindre un développement concerté, respectueux de l’homme et de la nature, est encore long.