Gaël Bordet, Sénégal, Proche Orient, Paris, 2002
Le conflit d’usages entre Israéliens et Palestiniens pour le partage des aquifères transfrontaliers de Judée Samarie
L’esquisse d’une coopération pour la gestion des aquifères pourrait insuffler un réel élan à l’effort de paix entre Palestiniens et Israéliens.
Keywords: Uso responsable y durable de los suelos | Distribución equitable del agua | Colaboraciones económicas para la paz | La infraestrúctura al servicio de la paz | Militares | Científicos | Gobierno israelí | Autoridad palestina | Gobierno jordano | Reformar las relaciones políticas para preservar la paz | Reconstruir la paz por el desarrollo | Cercano Oriente | Israel
Le conflit entre Israéliens et Palestiniens au sujet du partage de l’eau des aquifères montagneux de Judée-Samarie peut se révéler un enjeu majeur du processus de paix. C’est la raison pour laquelle l’esquisse d’une coopération pour la gestion de ces aquifères pourrait, pourquoi pas, insuffler un réel élan à l’effort de paix. L’exploitation des nappes phréatiques de ces aquifères qui s’étendent de la vallée de Yezréel au nord jusqu’à Beer-Chéva dans le sud et s’écoulent en partie, à l’ouest, vers la Méditerranée, au-delà de la Ligne Verte (ligne de démarcation avant 1967) (1), se fait grâce aux cascades naturelles ainsi que par de profonds puits artésiens creusés dans les basses pentes des monts de Judée Samarie. Les puits creusés par Israël ont, pour l’essentiel, servi à alimenter et à développer les nouvelles implantations de colons en Cisjordanie (2), ce qui a donné lieu à un contentieux juridique ; en effet, selon les termes de la quatrième Convention de Genève, l’utilisation des ressources naturelles par un pays occupant pour des usages civils est interdite (art.55). D’ailleurs, dans le cadre de ce contentieux, Israël n’a pas pu arguer du droit reconnu au premier occupant d’une terre pour justifier l’exploitation des aquifères montagneux, étant donné que le litige porte essentiellement sur les puits artésiens qui furent forés après 1967, c’est-à-dire après l’institution de l’Administration Civile Israélienne dans les territoires occupés.
En 2002, sur les 650 millions de mètres cubes annuellement exploitables, Israël en extrait environ 415 millions pour son compte (cet usage remonte à plus d’un demi-siècle) tandis que les Palestiniens exploitent 110 millions de mètres cubes annuels et que les forages effectués après 1967 malgré les mesures restrictives recommandées par le commissionnaire israélien pour l’eau dès 1965 permettent aux Israéliens de puiser entre 50 et 65 millions de mètres cubes par an, destinés à alimenter les installations israéliennes en Cisjordanie.
D’autre part, il est précisé dans les accords d’Oslo II conclus en 1995, que les réserves d’eau de l’aquifère oriental qui ne sont pas encore exploitées deviendront la propriété exclusive des Palestiniens lorsqu’un Etat verra le jour ; les quantités disponibles de cet aquifère, qui varient selon les estimations entre 60 et 150 millions de mètres cubes annuels, représenteraient un apport appréciable pour l’équilibre socio-économique de la Cisjordanie à condition que les Palestiniens soient en mesure de mettre en oeuvre une technologie suffisamment moderne leur permettant de procéder à des forages profonds, ce qui nécessiterait une coopération israélienne. Or depuis 1965, suite à un rapport du Commissionnaire israélien pour l’eau qui se basait sur des expertises hydrogéologiques montrant que le potentiel des aquifères montagneux était pleinement exploité, les Israéliens ont multiplié les mesures de limitation des forages puis ont entrepris de réguler les quantités d’eau pompées en Cisjordanie. Et c’est donc tout naturellement qu’Israël a étendu les mesures de restriction et de contrôle aux forages palestiniens après l’occupation de la Cisjordanie en 1967.
C’est au regard de cette répartition de l’exploitation des aquifères, des menaces d’épuisement qui pèsent sur les nappes phréatiques qui font l’objet du litige, et de l’ascendant politique, économique et technologique de l’Etat hébreu, qu’il convient de présenter les termes du contentieux qui oppose Israéliens et Palestiniens, puis d’envisager un mode de coopération durable et équitable.
Désireux de revenir aux dispositions du Plan Johnston de 1955, comme les accords d’Oslo II l’envisageaient, les Palestiniens revendiquent un droit de propriété exclusive sur les aquifères, puisqu’ils se situent selon eux à l’intérieur des frontières de la Ligne Verte. A cette première revendication s’ajoutent plusieurs récriminations :
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D’une part les Palestiniens dénoncent le coût que l’installation de colons juifs (principalement d’origine russe) fait peser sur leur bien être humain et sur leurs activités économiques, puisque l’eau puisée par Israël sert principalement à assurer la pérennité de ces installations ;
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D’autre part, les Palestiniens font état du préjudice dû aux restrictions unilatéralement décidées par l’Administration Civile Israélienne et des discriminations dont ils seraient victimes ;
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Enfin, ils reprochent aux Israéliens de vouloir contrôler les projets élaborés en partenariat avec les autorités palestiniennes en situant les réservoirs, les valves et les points de contrôle de l’eau à l’intérieur des colonies israéliennes.
De leur côté, les Israéliens affirment qu’ils ont des droits naturels et historiques sur les aquifères montagneux, sur lesquels ils disposent en outre d’un droit d’usage en tant que riverain. Les Israéliens désirent d’autre part obtenir la garantie d’une propriété exclusive de l’aquifère de Yarkon-Taninim dont dépendent trois millions d’Israéliens actuellement, et craignent que cette requête ne soit compromise en cas de retour massif de Palestiniens en Cisjordanie et des besoins en eau que cela occasionnerait. Ensuite, les dirigeants israéliens contestent avoir dépossédé les Palestiniens de leurs ressources en eau et insistent au contraire sur les bienfaits de la coopération mise en place avec les autorités palestiniennes (notamment l’importation d’eau par le biais du National Water Carrier dans les villages palestiniens) ; en outre, les dirigeants israéliens mettent les difficultés d’alimentation des Palestiniens sur le compte des fréquentes sécheresses (notamment celle qui a sévi entre 1988 et 1991). Enfin, Israël doute de la capacité des Palestiniens à pouvoir assurer une exploitation mesurée et durable des aquifères montagneux.
Nous le voyons, ces revendications, ces plaintes et ces inquiétudes formulées par les deux parties nous ramènent au cœur des négociations de paix et notamment aux discussions concernant la constitution d’un Etat palestinien. Ainsi, la résolution du contentieux israélo-palestinien au sujet de l’exploitation des aquifères de Judée-Samarie passera par un consensus juridique qui lui-même devra s’inscrire dans le cadre plus général du processus de paix israélo-palestinien. Or, les discussions sont rendues encore plus incertaines du fait de la discrétion du droit international sur la question du partage des aquifères transfrontaliers, même si certains principes généraux de « bonne conduite » ont déjà donné lieu à quelques avancées notables. C’est en s’appuyant sur ces principes, et notamment sur celui d’un « besoin minimum vital en eau », que certains experts ont proposé des plans de partage et de gestion des aquifères de Judée Samarie. Nous ferons essentiellement état de propositions formulées par une équipe israélo-palestinienne d’universitaires et de scientifiques (3).
Le plan de partage et de coopération imaginé par ces experts repose sur des prospectives concernant le concept de « besoin d’eau minimum » et donne lieu à la présentation de plusieurs « principes élémentaires » extensibles à l’ensemble des litiges engageant des riverains du Jourdain.
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Tout d’abord, et c’est le premier principe directeur d’une coopération israélo-palestinienne, les droits des parties sur l’eau des aquifères ne sauraient être modifiés sans accord mutuel.
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Le second principe a trait au calcul du « besoin d’eau minimum » pour chaque Etat riverain : ce calcul devrait prendre en considération l’ensemble des ressources disponibles du bassin, ceci dans l’esprit du droit international qui encourage une répartition équitable des ressources.
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Le troisième principe consiste à préconiser l’usage prioritaire des ressources hydriques d’un territoire pour assurer le besoin d’eau minimum de la population habitant ce territoire ; de même, le surplus devrait être utilisé à l’intérieur du territoire d’origine.
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Pour aller dans le sens du quatrième principe, l’exploitation des eaux transfrontalières devrait se poursuivre par des traités d’usage conjoints qui établiraient une répartition équitable en se basant sur l’indice « besoin d’eau minimum vital » ;
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Contribuer, dans la mesure du possible, à assurer le besoin minimum vital d’eau d’un pays riverain devrait être une priorité supérieure, en contrepartie d’une compensation financière ou autre.
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Enfin, les auteurs proposent de profiter des traités d’usage conjoint pour s’intéresser à l’ensemble des questions liées à la gestion de l’eau, c’est-à-dire la protection de l’environnement, aux outils de contrôle et de mesure de la pollution, au partage d’informations, à la création de comités et de commissions bilatérales ou régionales… ce qui contribuerait à développer des institutions régionales de coopération et de cogestion à l’échelle du bassin du Jourdain.
Notas
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(1) : L’arête centrale de cet aquifère de roche calcaire qui couvre la partie centrale de la Cisjordanie s’élève jusqu’à 500 mètres au - dessus du niveau de la mer. L’aquifère montagneux peut être divisé en trois zones hydrographiques : le bassin occidental qui est appelé aquifère « Yarkon-Taninim », est constitué de plusieurs sous-aquifères qui s’écoulent en direction de la Mer Méditerranée et ressortent d’abord aux chutes de Rosh Ha-ayin (Ras al-Ein en arabe) lesquelles alimentent la rivière Yarkon (El Uja) à proximité de Tel Aviv dans le sud, ensuite aux chutes de Taninim près de Hadera dans le nord ; le bassin du nord-est ; le bassin oriental enfin.
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(2) : Les chiffres de l’exploitation israélienne ne sont pas officiellement disponibles, car classées « secret défense », mais des estimations font état d’une exploitation de 35 à 50 millions de mètres cubes annuels pour l’aquifère oriental, et de 15 millions de mètres cubes pour les aquifères occidentaux et du nord-est réunis.
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(3) : K.Assaf, N.al-Khatib, E.Kally, et H.Shuval, A proposal for the development of a regional water master plan : prepared by a joint israeli-palestinian team, Jerusalem, 1993.