Cyril Musila, Paul KABOBA, Paris, noviembre 2013
RD Congo, la bataille du Katanga
La course pour le poste de gouverneur de cette province minière est lancée. L’élection aura lieu en 2014. Un scrutin aux multiples enjeux, économiques, politiques, stratégiques. Et une échéance décisive pour le pouvoir de Kinshasa. Récit.
Keywords: República Democrática del Congo
Qui sera élu, en 2014, gouverneur du Katanga ?
Qui sera élu, en 2014, gouverneur du Katanga, région la plus méridionale de la RD Congo, représentant un quart de son territoire ? La question intéresse au premier chef l’un des fils de la province, originaire du territoire de Manono : le président Laurent Kabila lui-même. Lors des dernières élections, le taux de participation dans cette région était de l’ordre de 70 %, soit près de 3 millions de voix, un vrai réservoir électoral faiseur de roi – ou de dauphin.
Au total, quelque 12 millions d’habitants vivent sur cette portion grande comme l’Espagne. Sur le plan économique, le Katanga possède un sous-sol particulièrement riche, regorgeant de cobalt, de terres rares (coltan), d’or, de diamants, de zinc, de germanium et même d’uranium, mais surtout de cuivre, avec des réserves estimées entre 75 et 80 millions de tonnes, 10 % des ressources mondiales de métal rouge… Environ 700 000 tonnes sont produites chaque année par une quinzaine d’entreprises minières, parmi lesquelles Tenke Fungurume Mining (TFM) du groupe américain Freeport-McMoRan, qui a déjà investi 2,5 milliards de dollars dans le pays pour cette activité. La Générale des carrières et des mines (Gecamines), qui appartient à l’État, extrait aussi du cuivre… Qui contrôle politiquement le Katanga maîtrise ainsi une partie du budget de l’État, près de 40 % !
Depuis les élections présidentielle et législatives de juillet 2006, cette province stratégique est aux mains du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), la formation politique du chef de l’État, Joseph Kabila, avec 34 députés parmi les 105 du
Katanga (et 500 à l’échelle nationale). Pour remporter le poste du gouverneur, le PPRD avait dû composer avec d’autres partis de la majorité présidentielle. Et son représentant, Moïse Katumbi, opposé au pasteur Théodore Ngoy, avait été élu. Avant d’être gouverneur, Katumbi, qui aura 49 ans au mois de décembre, est déjà riche, voire très riche, à la tête de plusieurs entreprises minières et de location d’engins de génie civil. Il a construit l’essentiel de sa fortune en Zambie, où il possédait une mine d’émeraudes, une société de transport aérien et une minoterie.
Considéré comme un mobutiste, il s’était exilé dans ce pays en 1997 lors de l’avancée des troupes de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, dirigée par le père de l’actuel chef de l’État.
Il en est revenu un 11 juillet 2003, date anniversaire de la proclamation de l’indépendance du Katanga en 1960. Un « hasard de calendrier », plaide celui qui se prénomme comme celui qui présida cette République sécessionniste, Moïse Tshombe. Monsieur le gouverneur lui a quand même construit un monument à sa mémoire, place de la Poste à Lubumbashi. Il est aussi connu pour ses actions caritatives, auxquelles il associe sa seconde épouse, Carine, mais surtout pour sa présidence du Tout Puissant Mazembe, club de football qui lui appartient, vice-champion du monde des clubs à Abou Dhabi en 2010. Sa formation n’avait échoué qu’en finale, face à l’Inter Milan de Samuel Eto’o. Celui-ci s’était d’ailleurs excusé d’avoir marqué l’un des trois buts contre des frères !
Le président du mazembe indétrônable ?
Comme illustration du bilan politique de Moïse Katumbi, nul doute que le pont long de 760 m, un record pour le pays, qui sera inauguré en décembre 2013 ou janvier 2014 à Kolwezi sur la Lualaba, l’autre nom du fleuve Congo, représentera son trophée. D’autres communes ou arrondissements, jadis appelés « indigènes », de Lubumbashi, de Likasi et de Kolwezi ont également été goudronnés, voire alimentées en eau et en électricité… « II avait dit lors de sa prise de fonction en 2006 que Lubumbashi serait comme Johannesburg, où en est-on ? » interroge l’un de ses opposants, qui dénoncent pour la plupart du « saupoudrage et du colmatage ». D’autres lui reprochent de diriger la province d’une main de fer, affirment qu’il n’en fait qu’à sa tête et qu’il profite du pouvoir politique pour s’enrichir. Ce à quoi ses proches ont beau jeu de rappeler qu’il était déjà riche avant. Dans un pays où le football est roi, on pourrait donc croire que Moïse Katumbi est indétrônable.
De là à le voir briguer un jour la présidence, il y a un pas que l’intéressé ne franchit pas, mais que d’autres font pour lui. Quand il avait annoncé (en mars 2012) qu’il ne souhaitait pas être candidat à sa succession, quelque 200 000 personnes s’étaient ainsi rassemblées spontanément devant le gouvernorat de province pour lui demander de changer d’avis. On évoque aussi une pétition de 1 million de signatures allant dans ce sens. Selon ses proches, il compte aujourd’hui plus d’ennemis au sein de sa famille politique que dans le camp adverse. Avec le chef de l’État, les relations sont surtout professionnelles, mais certains conseillers pensent qu’ « il en fait trop et se surestime beaucoup ». Au minium, l’homme est une forte tête. En 2009, il n’avait pas hésité à s’opposer à la toute-puissante Agence nationale de renseignement (ANR) à la suite de l’arrestation de l’un des ministres de son gouvernement provincial, exigeant sa libération immédiate, ce qu’il avait obtenu après avoir menacé de démissionner. Il dit aussi tout haut ce que les autres gouverneurs pensent tout bas, réclamant par exemple l’application de la Constitution de 2006, qui prévoit la rétrocession de 40 % des recettes nationales du Trésor public aux provinces.
Aujourd’hui, les prétendants sont nombreux pour le remplacer. Les candidats ne sont pas encore déclarés, mais plusieurs personnalités commencent à se positionner. Le début officiel de la campagne sera annoncé par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) probablement au début de l’année prochaine.
Une règle géopolitique non écrite
Le parti qui aura le plus de députés à l’assemblée provinciale emportera bien sûr le fauteuil de gouverneur, choisi, en théorie, en fonction de son appartenance géographique. À ce jour, sur les quatre districts que compte le Katanga, le Lualaba (Ouest), le Tanganyika (Nord-Est), le Haut-Lomami (Nord) et le Haut-Katanga (Sud), seuls ces deux derniers ont fourni des gouverneurs. Or une règle « géopolitique » non écrite veut que les provinces soient dirigées à tour de rôle. Les candidats issus du Lualaba et du Tanganyika seraient donc les mieux placés. Mais les ressortissants du Haut-Katanga, dont est issu Moïse Katumbi, estiment que le poste leur revient de droit, leur district abritant le siège des institutions provinciales. Le Haut-Lomami ne renonce pas pour autant, même s’il a déjà eu quatre gouverneurs de province.
Cette élection sera d’autant plus suivie par le pouvoir central de Kinshasa que certains groupes formulent toujours des revendications d’indépendance. Au mois de mai, des miliciens « Bakata Katanga », littéralement « ceux qui coupent le Katanga », se réclamant du Congrès des peuples katangais, dirigé par un certain Kazadi Mutombo Tanda Imena, avaient ainsi investi Lubumbashi en pleine journée pour faire entendre leur voix. Une vingtaine de rebelles et cinq civils avaient été tués, avant que Kinshasa charge le président de l’assemblée provinciale du Katanga d’entamer des discussions. Principal objectif : jouer la montre. Car cette rébellion est à ce jour loin d’être réduite et la menace d’autres attaques plane toujours sur les villes de la région, dont on se souvient qu’elle avait déjà fait sécession en 1960 après l’indépendance du pays. Elle avait réussi quelques coups d’éclat en 2011, comme l’attaque à deux reprises de l’aéroport international de la Luano, à Lubumbashi, celle d’une caserne militaire et celle d’un dépôt de munitions de l’armée. De plus, cette revendication trouve parfois un écho, non seulement chez certains politiciens, mais surtout dans une frange de la population pauvre. Le pouvoir central, qui ne veut pas voir un indépendantiste à la tête du Katanga, espère que ces ardeurs retomberont avec l’embellie économique attendue en 2015, avec une hausse programmée de la production de cuivre et, donc, des recettes. Restera ensuite à combler le fort déficit en énergie électrique pour attirer d’autres opérateurs et investisseurs. Les élections provinciales et locales qui seront organisées en 2014, alors qu’elles auraient dû se tenir au même moment que la présidentielle et les législatives de novembre 2011, ne serviront pas qu’à renouveler les parlements provinciaux d’où sortiront les gouverneurs des 11 provinces de la RD Congo.
Elles fourniront aussi un test grandeur nature sur la capacité des Katangais à se présenter en bloc ou en ordre dispersé lors de l’élection présidentielle de 2016. Le PPRD de Joseph Kabila peut-il maintenir son rôle de locomotive ? Lors des législatives de 2011, il avait obtenu 10 sièges sur 72 alloués à la province du Katanga à la chambre basse du Parlement de Kinshasa. En 2006, il en avait 11.
Entretemps, deux nouveaux partis, l’Éveil de la conscience pour le travail et le développement (ECT) et l’Union pour le Développement du Congo (Udeco), ont respectivement obtenu 9 et 6 sièges. Bien que dans la mouvance présidentielle, ils seraient loin d’obéir au doigt et à l’œil.
L’ECT a ses fondateurs connus, tout comme son président, Félix Kabange Numbi, qui est ministre national de la Santé publique, mais les observateurs avertis pensent que c’est Daniel Ngoy Mulunda, l’ancien président de la Ceni, qui agit dans l’ombre. D’autres y voient la main du gouverneur Moïse Katumbi.
L’Udeco appartient à Banza Mukalay, actuel ministre national de la Culture, des Arts, de la Jeunesse et des Sports. Cette forte personnalité, qui a occupé de hautes fonctions dans la IIe République, a joué un rôle non négligeable dans la rébellion du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), qui a militairement occupé une grande partie de la République de 1998 à 2003. Enfin, dans le milieu des associations socio-culturelles, l’ancien gouverneur de la banque centrale de 1997 à 2013, Jean-Claude Masangu Mulongo, originaire du Tanganyika, et principal pourvoyeur de fonds de la communauté balubakat, très influente, pourrait lui-même se positionner ou peser sur le choix du gouverneur.
Les scénarios de la présidentielle
Par ailleurs, en 2016, il faudra compter avec des centaines de milliers de nouveaux électeurs arrivés des deux Kasaïs, de Kinshasa ou d’autres provinces encore, à la recherche d’emploi ou en transit vers les pays d’Afrique australe ou vers l’Europe. Or, lors des précédents scrutins, cet électorat a voté pour l’opposition. Une crainte partagée par la population katangaise, qui redoute de perdre son influence dans le pays acquise depuis la chute de Mobutu. Dans les rues du Katanga, on verrait bien Joseph Kabila rempiler, même s’il faut pour cela renégocier la Constitution, qui limite les mandats présidentiels à deux.
Mais dans les salons, c’est un tout autre scénario que l’on entend : Joseph Kabila pourrait lancer sur orbite un poulain et le faire élire pour un mandat à sa place avant de récupérer ensuite le siège présidentiel, comme l’a fait Vladimir Poutine en Russie !
Le Katanga en 10 dates
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28 octobre 1906 : fondation de l’Union minière du Haut-Katanga (UMHK), ancêtre de la Générale des carrières et des mines (Gecamines), premier producteur mondial de radium dès 1923.
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11 juillet 1960 : la province fait sécession sous Moïse Tshombe, moins de deux semaines après l’indépendance du pays.
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17 janvier 1961 : Patrice Emery Lumumba, premier Premier ministre du Congo (24 juin-14 septembre 1960) est assassiné au Katanga, dans la brousse, à quelques kilomètres au nord-ouest de Lubumbashi, avec la complicité de la sûreté de l’État belge, puissance coloniale, et des services secrets (CIA) des États-Unis.
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18 septembre 1961 : Dag Hammarskjöld, secrétaire général de l’ONU, périt dans un accident d’avion en Rhodésie du Nord (aujourd’hui la Zambie), où il devait rencontrer le président du Katanga indépendant, Moïse Tshombe.
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Janvier 1963 : la réintégration est conclue par un plan de conciliation nationale signé sous l’égide de l’ONU, dont les forces ont vaincu les soldats sécessionnistes.
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1967-1968 : le club de football Tout Puissant Englebert Mazembe gagne ses deux premières coupes africaines des clubs champions. C’est la glorieuse période de l’’équipe, qui sera encore finaliste les deux années suivantes.
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14 novembre 1991 : Gabriel Kyungu wa Kumwanza est nommé gouverneur du Katanga. Il prône le contrôle de l’appareil de l’État par les hommes politiques de la région.
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9 mai 2006 : l’assemblée provinciale élit pour la première fois un gouverneur de province en la personne de Moïse Katumbi Chapwe.
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14 novembre 2010 : le Tout Puissant Mazembe se qualifie pour la finale de la Coupe du monde des clubs contre l’Espérance de Tunis à Radès, match qui se joue le 18 décembre 2010 à Abou Dhabi contre l’Inter Milan de Samuel Eto’o. C’est la première équipe non européenne et non sud-américaine à atteindre ce niveau.
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Décembre 2011 : premières exactions de la part des rebelles indépendantistes. Leur dernière action en date s’est traduite par l’incursion le 30 mai 2013 dans la ville de Lubumbashi, en plein jour, de près d’une centaine de rebelles dits « Kata Katanga ».
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12 février 2012 : Décès d’Augustin Katumba Mwanke, député katangais de Pweto et conseiller du chef de l’État, dans un crash d’avion à l’aéroport de Kavumu, à Bukavu.
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29 octobre 2013 : attaque d’un dépôt militaire de munitions dans le quartier industriel de Lubumbashi, non loin du centre-ville.
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2014 : élections provinciales et municipales (urbaines).
Le carré des autres prétendants
Baudouin banza mukalay nsungu
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60 ans. Originaire du Haut-Lomami. Ministre de la Jeunesse, des Sports, de la Culture et des Arts. Cet ancien dirigeant du parti MPR du maréchal Mobutu, passé par la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), a créé son propre parti à tendance nationaliste, l’Union pour le développement du Congo (Udeco) en 2007. Il est aujourd’hui bien implanté dans le nord du Katanga, qui fournit 40 % des députés. Ce qui peut peser lors de l’élection du gouverneur. Kinshasa, qui redoute les séparatistes, pourrait miser sur lui, mais les extrémistes pourraient faire barrage.
Richard muyej mangez mans
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58 ans. Originaire du Haut-Katanga. Il est un militant de la première heure de l’Union des fédéralistes et des républicains indépendants (Uferi), un parti à forte connotation régionaliste des années 1990, ancêtre de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec) de Kyungu wa Kumwanza, ex-leader incontesté du Katanga, son mentor. Il est surtout l’un des cofondateurs du PPRD de Joseph Kabila, dont il a toujours la confiance. La preuve : il est aujourd’hui son tout-puissant ministre de l’Intérieur, de la Sécurité, de la Décentralisation et des Affaires coutumières. Ancien député national élu en 2006, battu en 2011, il lui reste à regagner la confiance des Katangais.
Séraphin ngwej
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50 ans. Originaire du Lualaba. Membre du PPRD, ex-ambassadeur itinérant envoyé spécial pour la région des Grands Lacs. Il est un proche conseiller de Joseph Kabila. Ce dernier a déjà placé l’un de ses conseillers à la tête du Sud-Kivu. Ngwej rêve pareille promotion à la tête du Katanga. En attendant, le chef de l’État a déjà envoyé ce diplomate éteindre les fréquents incendies politiques dans la province. Très écouté aussi bien dans la majorité que dans l’opposition mais inconnu sur la scène politique katangaise, où on ne l’entend pratiquement jamais, Séraphin Ngwej pourrait néanmoins avoir du mal à descendre sur le ring musclé de l’arène politique locale.
Christian mwando Nsimba
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48 ans. Originaire du Tanganyika. Malgré son échec aux législatives de 2006, il est parvenu à s’imposer grâce au parti de son père, Charles Mwando Nsimba, au gouvernement provincial, où il détient le portefeuille des Finances, de l’Économie et du Commerce. Entre-temps, il s’est aussi fait élire député national de l’Union nationale des démocrates fédéralistes (UNDF) en 2011. Cette année, sa maîtrise des finances publiques lui a valu d’être nommé « homme politique de l’année 2013 » par la presse locale, une belle récompense pour celui qu’on a longtemps considéré comme un « fils à papa noceur ».