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En librairie

Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Débat

  • 1. Première intervention

La France est diverse aujourd’hui, mais la France a un passé. Aujourd’hui on ne dit pas que les enfants qui sont nés ici sont Français. On dit qu’ils sont d’origine ceci ou cela et pourtant ce sont des enfants qui sont nés ici et qui sont exclus dans leur pays d’origine. Je suis Sénégalais. Mais la France a une culture prétentieuse, la France veut être vue de tout le monde. Mais quand on regarde au fond, aux États-Unis il y avait l’esclavage… c’est un noir qui aujourd’hui est président de la république. La France est raciste. Ce ne sont pas tous les Français… le racisme, mais c’est la nature humaine.

  • 2. Seconde intervention

Vous disiez tout à l’heure que les outils les plus appropriés pour lutter contre ce phénomène de discrimination c’était le droit. En tant que juriste on a pour habitude de dire qu’un bon droit est un droit qui suit l’évolution des mœurs. Malheureusement on constate que lorsqu’une personne est victime de racisme ou d’islamophobie, des dispositions sont prises justement juridiquement, pour pallier ces discriminations-là. Pour donner un exemple tout à fait concret, une personne qui porte un signe religieux sur un lieu de travail, d’emblée on va modifier le règlement intérieur de l’entreprise de manière à insérer une clause disant, qu’il y a une image de l’entreprise à respecter et que le port de signes religieux va nuire à cette image. Ainsi, on pourra lui interdire de porter le foulard. Je me demande si finalement on n’entre pas dans une logique où le droit ne peut plus pallier une évolution des mœurs et s’il ne prend pas une teinte de plus en plus raciste et de plus en plus islamophobe.
Comment fait-on lorsque justement le droit n’est plus un outil au service de la lutte contre les discriminations, mais devient un outil qui sert ces discriminations qui les légitimise, qui leur offre un cadre juridique complètement légal ?

  • 3. Réponse de Michel Kokoreff

Je dirais deux choses. La première chose c’est que je ne suis pas tout à fait d’accord avec la définition d’un droit qui évoluerait avec les mœurs, parce que l’on peut trouver bien des exemples, le droit de la famille par exemple, où le droit est très en retard par rapport aux transformations sociales de la famille, des manières de faire du couple, du rapport aux enfants, etc. Et on pourrait prendre d’autres exemples. Donc ce n’est pas toujours vrai. Ce qu’on constate c’est parfois un écart, un retard entre un droit qui date d’une époque qui ne correspond plus tout à fait aux réalités sociales du moment. Premier point.
Deuxièmement, je dirais que le droit énonce des normes. Ces normes peuvent apparaître comme étant des normes sociales, elles peuvent apparaître au bout d’un certain temps, comme naturelles, essentielles. Par exemple, les normes qui régissaient le droit de la famille sur le pouvoir du père. Vous savez que jusqu’à la fin des années 60 les femmes n’avaient pas le droit d’ouvrir des comptes en banque par exemple. C’est affligeant. Or si le droit énonce des normes sociales, c’est que les normes sociales peuvent changer le droit. Mais il ne peut être changé que par la mobilisation, le conflit. Vous avez tout à fait raison ce n’est pas un optimisme béat : « ah le recours au droit est la solution à tout » mais effectivement la capacité de démontrer qu’il y a discrimination, et dans un souci de lutte pour transformer les normes.

  • 4. Réponse d’Abdelaziz Chaambi

Au CRI (Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie) on est parti au départ en disant que le juridique ne suffit pas. S’il n’y a pas de rapport de force cela ne sert à rien ! Et on l’a vérifié dans les faits.
C’est vrai, la justice aujourd’hui, est une justice raciste. J’assume mes mots. Je sais que quand j’entends un procureur de la république dire à la télévision, qu’il a enlevé les enfants de la famille Msakni (Bourgoin Jallieu) parce qu’ils sont élevés dans une culture radicale. Je voudrais qu’on m’explique ce que c’est qu’une culture radicale ? (…)
Mais face à cette histoire de Bourgoin-Jallieu, le procureur a parlé, et nous on s’est manifesté. On a fait des manifestations devant la Mairie et on est allé occuper le Conseil Général de façon pacifique, intelligemment bien sûr… Le lendemain matin Mme Msakni a eu son bébé de trois mois et a pu l’allaiter. Et si on n’avait pas fait, ça elle ne l’aurait jamais eu. On s’est mobilisés, on a fait du tapage, on a fait du bruit, on a manifesté au détriment même des amis de la famille Msakni qui disaient que la manifestation est un interdit religieux. Il y a eu un rapport de force. Non, il n’y a pas que le recours au droit il y a le recours au Politique au sens noble du terme. C’est le rapport de force.
Je donne encore un autre exemple très révélateur. La loi sur les nounous. Tout le monde en a entendu parler de cette loi inquisitoire. Elle a été votée au Sénat mais elle n’est pas passée à l’assemblée nationale. Il a été voté au Sénat que si une assistante sociale vient chez Mme Fatima, qui est nounou agréée et qu’elle porte un foulard chez elle, elle lui enlève l’agrément. Si l’assistante sociale trouve un Coran sur la table, elle lui enlève l’agrément. Elle lui enlève son boulot, son gagne-pain. Cette loi a été bloquée parce qu’on a manifesté devant le siège du parti socialiste. On a rencontré des responsables de haut niveau du parti socialiste et ils se sont engagés, dont un par écrit en disant : si M. Hollande passe à la présidentielle on ne votera pas cette loi. Alors, il y a les laïcards du PS qui sont revenus à la charge avec les radicaux de gauche pour remettre encore une couche sur les nounous, sur le voile à l’université… sur le voile dans les centres sociaux. Un responsable politique a dit non non, celle-là on verra plus tard ! On laisse tomber ! Elle crée trop de polémiques ! Et c’est quoi la polémique ? C’est que dans les banlieues ça a bougé, chez les musulmans ça a bougé et chez les soucieux des droits de l’homme ça a bougé.

  • 5. Le questionnaire de Strasbourg

Écoutez le type de questionnaire qui est proposé par la préfecture de Strasbourg à un Monsieur qui est marié à une citoyenne française qui demande la nationalité française par simple déclaration. Il est convoqué à la préfecture et écoutez bien ce qu’on lui demande ! C’est vraiment gratiné ! Les questions : recevez-vous des amis chez vous ? Votre épouse prend elle part au repas ? S’assoit-elle dans le salon s’il y a des hommes ? Vous vous rendez compte des questions ? Êtes-vous pratiquants ? Allez-vous à la mosquée ? Est-ce qu’on poserait ces questions à quelqu’un qui va à la synagogue ou à l’église ? Faites-vous partie d’une association ?… Alors ça c’est le bouquet : les associations dégagez ! Il ne faut pas que tu fasses de la politique, il faut que tu suives les béni-oui-oui des enturbannés qui te disent : ça ce n’est pas bien de faire de la politique mon frère, à ma sœur tu n’as pas le droit de créer une association. Reste à la mosquée… Ceux qui prétendent cela réduisent l’Islamité à une religiosité vide de sens. La religion, si elle n’est pas capable de transformer l’individu pour en faire un élément de transformation sociale, elle ne sert à rien. Si elle a été révélée c’est pour devenir des éléments de transformation. Ce n’est pas pour autre chose la religion. Et regardez les questions : votre femme est-elle suivie par un gynécologue ou une gynécologue ? Vous voyez le truc ? Et mettez-vous à la place de celui qui vient demander la nationalité française et qui en a besoin pour avoir une promotion sociale, pour rentrer dans la fonction publique, pour ouvrir un commerce, pour devenir avocat ou notaire, il est obligé de mentir.
Mais c’est quoi ces questions inquisitoires ? Mais si on se tait là-dessus, je vous assure que demain tout le monde va y passer. Ou encore : Enlèveriez-vous votre voile devant un homme ? Avez-vous choisi votre mari ? Mais vous vous rendez compte ? Mais c’est quoi ces questions ? Mais on va où… C’est la préfecture de Strasbourg.
Pour en revenir à la question du droit de la jeune fille, c’est très important. Si vous êtes d’accord on est prêt, on a un avocat qui est tout prêt, on dépose plainte contre l’État français pour les 30 ans d’apartheid qu’on a vécu. C’est Manuel Valls qui le dit. Vous savez ce que ça veut dire 30 ans d’apartheid ? L’apartheid c’est de la discrimination. Pourquoi on ne dépose pas plainte ? Nous en tout cas, CRI on est prêts.

  • 6. L’entre soi

Aujourd’hui il y a des enfants qui vivent entre eux, ils jouent au foot entre eux, ils vont à l’école coranique entre eux, ils vont en vacances entre eux, ils sont dans le quartier entre eux ! Il n’y a plus de mixité sociale, il n’y a plus de mélange. C’est le séparatisme culturel. A un moment j’étais avec 70 enfants de 5 à 13 ans. On discute de tout, de la religion, des quartiers, de la police, de tout ce que vous voulez. À un moment je dis aux enfants vous êtes quoi : les mains se lèvent et ils disent ; je suis Marocain, je suis Sénégalais, je suis Malien, je suis Algérien ! Il n’y en a aucun qui a dit : « je suis Français ». Alors que nous nous sommes bagarrés dans les années 80 pour arriver au bout de 15 ans à faire dire à quelqu’un : je suis Français. On a eu du mal, on y estarrivé et on nous a cassé le travail. Tout ce travail qu’on a fait pendant 20 ans il a été fichu en l’air à cause de ses politiques systémiques raciales « racialisantes » et islamophobes.

  • 7. Troisième intervention

Tout à l’heure tu as parlé de la gauche qui a trahi. La gauche n’a pas trahi. C’est nous ! Nous avons trahi… C’est de notre faute ! En général quand on cesse de croire, on commence à penser. Mais cela fait plus de 30 ans, on continue de croire et on ne pense pas. Mais maintenant il va falloir peut-être penser… Penser notre avenir dans ce pays et pas uniquement pendant les périodes électorales. Il va falloir qu’on continue à se rencontrer, à se parler et à penser. Et à penser peut-être même à haute voix.
Maintenant moi je voudrais aborder la question du racisme. Je considère le racisme comme une forme de cancer qui attaque un organe de la société dont il fait partie… Si l’on considère la question avec gravité, chacun de nous peut, doit réfléchir : comment on peut s’opposer, comment on peut créer un rapport de force. Parce que le législateur lui, écrit ce texte en fonction des rapports de force. Nous sommes dans une société organisée, structurée. Mme Toubira a été agressée. Mme Toubira c’est une ministre, ses collègues ministres ont mis plus d’une semaine pour réagir. Et encore ils ont réagi parce que l’opinion publique a réagi. Je pense que notre but, c’est une lutte de l’ensemble de la société française. Toutes composantes confondues. Voilà, merci.

  • 8. Quatrième intervention

Une question à poser aussi bien à M. Chaambi qu’à M. Kokoreff. Tout d’abord nous sommes envahis par le terme « quartier populaire ». On parle aussi de « quartier sensible » de « zones urbaines sensibles ». Je pense que c’est un renforcement de la discrimination. Encore une fois, on met à l’écart des gens qui sont déjà à l’écart. (…) Hier j’ai discuté avec des personnes dans un conseil d’administration. J’ai dit, la Villeneuve n’est pas un quartier difficile, c’est un quartier « en difficulté ». On m’a apporté une précision on me dit c’est un quartier avec « des personnes en difficulté ». Donc si on veut catégoriser les quartiers, il faudrait à mon avis faire très attention. On est ici dans une catégorie de « quartier populaire », et le mot populaire devient maintenant uniquement une catégorie de quartier, secteur etc.
La Villeneuve a subi plusieurs agressions extérieures. Des événements qui ont fait chuter sa marque de fabrique. Qui a fait chuter sa réputation. Le plus marquant c’est en 2010. Lorsqu’un jeune qui a été tué et on a vu ce qui s’est passé après. Jusqu’à un président de la république qui s’est déplacé hier c’est ce qu’on appelle aujourd’hui le discours de Grenoble, et chaque fois, ce sont les médias qui tapent sur le quartier. Un peu moins maintenant. Le deuxième c’était lorsque France 2 est venue faire sa mission encore un coup, et on voit comment à chaque fois c’est la Villeneuve… Villeneuve… Villeneuve… On ne parle pas de la baisse des prix, du patrimoine que ceux qui ont etc. vous avaient tous compris ce que je veux dire.
Maintenant la question : est-ce que vous pouvez faire la différence entre « raciste » et « discriminant ». Le raciste subit une régression, mais de l’autre côté il y a des discriminants et des discriminés. Je pense qu’il y a une différence entre les deux. Et quand M. Kokoreff, vous dites que la France est structurellement raciste, ça me fait mal. Est-ce qu’on est raciste ou est-ce qu’on est discriminant ? Et quand on est discriminant, c’est un peu partout, et chacun a un degré de discrimination envers les autres. Voilà je vous remercie.

  • 9. Cinquième intervention

Les discriminations systémiques, ne sont plus à démontrer. Donc on doit l’accepter. Ce ne sont pas des thèses complotistes. Ce sont des chiffres et des statistiques, ce sont des études, tout ce que vous voulez. Il y a des discriminations systémiques qui touchent, et qui ont touché… Je veux parler de l’histoire coloniale de la France. Les méthodologies de la France en Afrique du Nord ou en Afrique Noire ce sont des méthodes étudiées, qui sont encore utilisées par les Américains en Irak ou ailleurs. Ce sont des méthodes pensées, des méthodes structurelles, des méthodes relayées par les administrations. Il y a des exemples aujourd’hui. (…) Dans la coordination contre le racisme et l’islamophobie, on reçoit 10 à 15 plaintes par semaine ! Voilà ce qui m’est arrivé dans telle administration… Voilà ce qui est arrivé dans telle école… Voilà ce qui m’est arrivé avec telle personne, voilà ce qui… Oui les relations interpersonnelles, c’est une chose. On croise le raciste du coin. Le gars qui est dans une relation de haine par rapport à l’autre, c’est une chose, mais là, il me semble que c’est très important de parler aussi du système. Si on ne fait pas attention à ça, comme tu le dis Abdelaziz, petit à petit ça rentre dans la culture, ça rentre dans le vécu collectif.
Et je vais finir pour dire à mon prédécesseur qui a dit : quand on a fini de croire on commence à penser. Donc je voudrais vous rassurer que tous les croyants ici, ne vous ont pas attendu pour penser, pour penser justement cette vie ensemble, cette relation à l’autre, cette pluralité de construire avec l’autre et non pas contre l’autre. Les croyants n’ont pas attendu les athées pour commencer à penser.

  • 10. Sixième intervention

Carrefour a été condamné récemment pour avoir licencié une personne qui portait le voile… Cette condamnation n’est pas arrivée par hasard, cela se passe sur un territoire à Villeurbanne, où depuis longtemps il y a une politique de lutte contre les discriminations qui est conduite. Il y a une association de luttes contre les discriminations qui est soutenue par les pouvoirs publics pour organiser un réseau de veille sur les discriminations. Il y a une centaine de situations qui remontent chaque année, qui sont traitées, qui font l’objet d’un rappel à la loi, de médiation, de traitement juridique, d’orientation au parquet etc. et que c’est un territoire où du coup un employeur, un bailleur sait qu’il peut être condamné si il discrimine, et cela c’est quelque chose d’important. C’est une des grandes différences entre le racisme et la discrimination. La discrimination c’est une pratique qui est condamnable donc on peut s’appuyer sur le droit alors qu’il faut quand même savoir que ce n’est pas interdit de penser « raciste » en France. C’est beaucoup plus compliqué de lutter contre le racisme et on n’a pas cet outil du droit, même si c’est extrêmement difficile de prouver une discrimination et que c’est quand même un outil qu’il faut mobiliser autant que possible. Mais pour le mobiliser il faut aussi qu’il y ait des politiques de lutte contre les discriminations qui permettent de le faire.

  • 11. Septième intervention

Moi je voulais partager avec vous une petite expérience que je vis tous les samedis avec des jeunes d’Échirolles. J’ai compris une chose, c’est que lorsque l’on s’enferme dans le discours victimaire, on devient peu un acteur de la transformation sociale. Et ce qui m’a impressionné dans ces ateliers de jeunes, c’est qu’un jeune est venu me dire : Éric il faut que tu écoutes le morceau de Kery James. Parce que lorsque tu nous parles on comprend ce que c’est que la victime. J’ai écouté le morceau de Kery James, il dit : « refusez d’être des victimes. Devenez des acteurs de transformation de la société ». Et à un moment donné il faut qu’on sorte de la victimisation si l’on veut voir une autre société jaillir dans ce monde. La deuxième chose, c’est sur le choix de nos identifications. Est-ce que je dois prendre la parole comme Musulman ou est-ce que je dois prendre la parole comme Français. J’aimerais vous entendre là-dessus Monsieur Chaambi, parce que si on veut que cette république soit la république de demain, il faut à un moment donné qu’on arrive à dire à certaines personnes de savoir choisir leur identification pour parler sur la scène publique.
Je vous rends compte aussi de ce témoignage d’un jeune dans ses ateliers, il m’a dit Éric je suis né en France, mon père est né en France, mais quand je suis allé en Algérie à l’âge de 18 ans dans mon village, on m’a accueilli comme un étranger. Et je comprends maintenant pourquoi est-ce que tu nous dis de chercher à savoir quelle forme d’identification je dois choisir. Il faut que mon enfant demain soit Français et non qualifié d’immigrés. (…) Si ce n’est moi, peut-être mes enfants auront cette opportunité de dire « oui cette république-là, je peux la transformer ».

  • 12. Réponse d’Abdelaziz Chaambi

J’ai dit qu’on avait travaillé pendant près de 20 ans pour amener les jeunes issus de l’immigration, les héritiers de l’immigration à dire : je suis Français. C’est bien ce qu’on réclame. Mais par contre ceux qui nous renvoient à une parcelle de notre identité, à notre islamité sont les hommes et femmes politiques qui depuis 30 ans et surtout depuis le 11 septembre 2001 nous ramènent la question du halal, la question du voile, la question des mosquées, la question des minarets. Ce n’est pas moi qui le fais…
Personnellement j’ai créé la coordination contre le racisme et contre islamophobie (CRI) à contrecœur. J’aurais préféré continuer à développer le parti politique qu’on a créé, Force Citoyenne Populaire, pour inciter les gens à s’engager au-delà de leurs appartenances, de leur couleur de peau, de leur religion.
Encore un petit point sur Lyon. On a un préfet de région qui a ouvertement publiquement soutenu une élue verte de Lyon neuvième, qui a dévoilé une femme le jour de son mariage. Ce n’était pas un voile intégral, c’était un foulard normal. Elle l’a fait pleurer. Elle a voulu faire du zèle en lui disant « quitte ton foulard sinon je ne te marie pas ». Et le préfet de région, au lieu de la rappeler à l’ordre, au lieu de la rappeler à la loi, lui a dit « je vous soutiens... Je vous soutiens, je suis avec votre combat pour la laïcité ».
Je vous dis que les libertés sont en danger, dernièrement un centre social… Il n’y a pas un élément de proximité plus important qu’un centre social dans un quartier populaire. Un courant « laïcard » a voulu faire fermer le centre parce qu’une femme voilée y travaillait. Que je sache, il n’y a pas une loi qui interdit à une femme voilée de travailler dans une association 1901. On intervient, les familles nous sollicitent. On se bagarre, on alerte le préfet. Il ne nous répond pas et au lieu de nous répondre, il nous envoie le responsable du culte musulman. Mais elle est où la république ? 30 ans, 40 ans de lutte et à la fin on arrive à un préfet qui nous envoie un représentant du culte musulman… Mais qu’est-ce que ça à voir avec ça ? Ce n’est pas une question religieuse c’est une question de droit.
On ne veut pas se contenter d’un système qui discrimine et venir faire des réparations. On ne peut pas mettre des rustines sur un système qui n’arrête pas de crever les roues. On veut que le système change sa politique systémique, après les choses iront mieux.

  • 13. Réponse Michel Kokoreff

En tant que sociologue comme en tant que citoyen je suis très méfiant à l’égard des mouvements identitaires, à l’égard de la notion d’identité. Parce que, justement, on ne cesse d’être réassignés. Je pense que dans cette ré-affiliation identitaire il y a quelque chose de monstrueux qui sommeille. Faut-il choisir ? Si on est réassigné en permanence à une identité, faut il choisir une identité ? C’est compliqué car cela conduit vite à des discours et positions réactionnaires. C’est répondre à la séparation par la séparation plutôt que favoriser la cohésion.
Seconde remarque. Je couple les deux questions, l’intervention sur Villeurbanne et la question sur « racisme et discrimination ». C’est effectivement une question un peu théorique. On peut considérer que le racisme, c’est un système d’attitudes et d’opinions. Ce système peut déboucher sur des actes, des paroles, des propos racistes mais pas nécessairement… Alors que les discriminations sont essentiellement de l’ordre des comportements, des pratiques. Même si, effectivement, ces pratiques sont difficiles à démontrer.
Quant à l’expression « structurellement raciste »… Cela veut dire que cela fait partie de la culture politique française ! Colonialisme ou pas colonialisme. Et ce n’est pas une dénonciation, c’est un fait historique. Lorsqu’on dit que les violences policières sont discriminatoires, lorsque les contrôles d’identité sont discriminatoires, on dit bien qu’effectivement il y a une catégorie qui est discriminée, alors non pas au profit d’une autre, mais quand même un peu du fait d’une institution qui trouve là un moyen d’exercer son contrôle sur les populations.
De la même manière quand un employeur est condamné, l’acteur de la discrimination est bien identifié. Là aussi je pense que ce serait dangereux d’être dans un mode de raisonnement où il y aurait des discriminés mais pas de discriminants, c’est comme l’exclusion, il y aurait des exclus mais pas « d’exclueurs ». Il y a des discriminants qui sont les fonctionnaires de police, qui sont les chefs d’entreprises, les agences de recrutement, les vigiles de boîtes de nuit qui ont des consignes, on peut continuer la liste. Effectivement on peut les identifier par le recours au droit et on peut les identifier aussi par le rapport de force, comme l’a très bien dit Abdelaziz.
Dernière remarque sur la question des catégories. Je n’ai pas de problème avec « quartier populaire ». « Quartier populaire » c’est gentil c’est même un peu bisounours par rapport à la vie sociale qui y règne à certains moments. Et en même temps ce n’est pas infamant. Ce n’est pas pareil que quartier « sensible ». J’ai longtemps parlé de quartier pauvre parce que les revenus sont bas, parce que les gens qui payent les impôts ne sont pas nombreux, parce que le niveau de revenus baisse et qu’il y a aussi un tabou aujourd’hui sur la pauvreté. Quartier pauvre ! Est-ce que c’est infamant ? Quartier précaire, est ce que c’est mieux ? C’est une bataille sans fin mais, au fond le terme de quartier populaire pourrait convenir au plus grand nombre dans le sens où il renvoie à des catégories sociales plutôt qu’à une échelle de dangerosité ou de criminalité. Encore une fois, il n’est pas infamant. Parce que cela désigne quelque chose qui renvoie à des classes populaires. C’est-à-dire que dans les quartiers populaires, il y a une majorité d’ouvriers et d’employés, d’ouvriers qualifiés, d’ouvriers non qualifiés, il y a des employés. On a oublié ce vocabulaire-là.

  • 14. Huitième intervention

Je trouve que c’est une facilité langagière que de parler de discrimination. C’est un mot qui est entré dans le vocabulaire, mais je trouve qu’il marque la dépolitisation des luttes parce qu’on ne parle que de l’intérêt individuel et on n’est plus dans le discours de classe. (…) On manque de figures militantes dans la communauté arabo-musulmane de figures qui incarnent un discours d’antagonismes de classe et de reconnaissance de classe possédant et possédées, dominantes et dominées quoi !
Moi, je préfère parler de domination parce que c’est quelque chose de systémique et pas juste d’un ressenti. (…) On continue d’être dans un pouvoir colonial, en témoigne la gestion des quartiers populaires, la présence policière dans les quartiers populaires, les lois d’exception, les couvre-feux, les lois concernant les femmes qui portent le hidjab en France. On reste encore dans cette espèce d’illusion de la mission civilisatrice blanche : on va civiliser les barbares et les indigènes.
C’est super important de faire le lien entre tout cela en fait : colonialisme, impérialisme, racisme, islamophobie. Vivre ensemble c’est super, j’aimerais bien être juste un individu qui marche dans la rue. Ce n’est pas le cas. En fait, l’État me réassigne parce que je ne suis pas Française. Dans la rue, on me réassigne, parce que je suis Musulmane, il y a toujours des réassignations et du coup, on peut en faire deux choses. On peut dire « non, je ne veux pas de réassignation identitaire. Je ne suis qu’un individu, je suis une personne française. » Et on peut aussi se reconnaître dans une communauté et en faire une force ! Pas pour faire un truc essentialiste de la communauté arabe qui serait super ! Mais pour se dire « oui, on est des immigrés, on est les descendants des immigrés et des immigrations postcoloniales, on est au moins la communauté musulmane, auto-organisons-nous et faisons en sorte d’être une communauté et une force d’agir. »
Pour moi, c’est d’éviter le paternalisme blanc, en fait. Il y a plein de camarades qui sont très gentils, qui veulent nous aider. Mais nous ne sommes jamais les personnes qui venons faire de l’analyse et produisons du discours sur nos vies. On est juste, de temps en temps, invités en tant que témoin.
Je ne dis pas qu’il ne faut jamais faire des choses ensemble ni avoir des politiques d’alliance. Mais c’est à nous de produire un discours sur nos vies, de produire de l’analyse et de ne plus être cantonnés au rôle de témoins de ce que nous vivons nous-mêmes. Moi je n’ai pas besoin qu’un sociologue blanc (et c’est avec tous mes respects) vienne m’expliquer ce que c’est que la domination et vienne expliquer ce que c’est que de vivre dans un quartier populaire !
Parce que, et notamment depuis janvier, à chaque fois que je parle avec des camarades de « auto organisons-nous » les gens ont peur. Ils disent : « Mais non, il faut qu’on reste avec les blancs parce que sinon on va penser qu’on soutient les djihadistes,que nous sommes des radicaux et que nous ne sommes pas intégrés ». Je ne dis pas qu’il faut vivre séparés, chacun de son côté, ce serait juste bien qu’on pense aussi à l’auto organisation.

  • 15. Neuvième intervention

On s’aperçoit qu’en Occident la population est très vieillissante. En France la population de souche est vieillissante et il y a une génération de jeunes qui arrivent, et qui va devenir une élite de gré ou de force. Ils sont là, ils existent et puis à un moment donné on va quand même arriver à s’organiser. Et peut-être qu’il y a une peur profonde… Je dis ça parce qu’à un moment donné j’ai été dans mon quartier et j’ai discuté avec un jeune et il m’a regardé et m’a dit « tu sais Hamed, moi j’ai l’impression qu’ils ont fait un génocide culturel. » Voilà. Et je me dis peut-être qu’ils ont peur du futur qui est très proche, et qu’à un moment donné c’est irréversible… C’est comme ça… Les jeunes qui sont nés ici ils vont sûrement rester ici, ils feront eux mêmes des enfants et les enfants feront des enfants et puis automatiquement naturellement, la place se fera… Et on a peur de ce moment en fait et on essaye de reculer. C’est tout.

  • 16. Intervention du CCIF

Je fais partie du collectif contre l’Islamophobie en France qui s’appelle le CCIF. C’est un collectif qui été créé il y a plus de 10 ans maintenant, et notre principale activité c’est le conseil juridique aux victimes. On offre des conseils juridiques et un accompagnement juridique gratuit aux victimes d’actes d’islamophobie. On a aussi des actions sur le plan politico-médiatique et un site Internet, on a une application sur Smartphone, avec Androïde ça marche, vous taper CCIF et vous pouvez la télécharger. Je voulais vous dire aussi que, non seulement on a une permanence téléphonique gratuite mais aussi on met à disposition un guide juridique qui donne la possibilité aux personnes de connaître leurs droits et de leur expliquer comment ils peuvent le faire valoir.
Le CCIF, par son travail, a été reconnu membre consultatif de l’ONU, d’ailleurs notre porte-parole est en ce moment même au siège de l’ONU à New York, sur un colloque qui s’appelle the « Women empowerment » : ce qui peut se traduire par donner plus de pouvoir aux femmes. Le CCIF est aussi partenaires de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). J’ai ramené quelques petites cartes de visite pour les victimes, ou les victimes potentielles qui auraient des problèmes et des questions pour connaître mieux leurs droits. On a une hot line, ouverte du lundi au vendredi de 9:00 à 13:30 et de 14:00 à 17:30. Voilà, si vous avez plus de questions n’hésitez pas je serai disponible à la fin de la réunion.