Etude de cas
Le conflit de Bosnie-Herzégovine a emporté la vie de plus de 100 000 personnes et en a déplacé des millions d’autres. Après la fin de la violence, en 1995, grâce aux Accords de paix de Dayton, le long processus de reconstruction et de retour des populations a commencé. Une partie de ce processus a induit l’émergence de milliers de nouvelles organisations visant à maintenir la paix et à construire une nouvelle société démocratique.
A Sanski Most, une petite ville dans le nord-est du pays, quelques individus, ayant vécu des transformations de leurs traumatismes personnels vers la guérison grâce au soutien d’acteurs de paix professionnels, ont fondé le Center for Peacebuilding (CIM) pour aider les autres dans leur cheminement vers la guérison. La région nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine fut le théâtre de luttes particulièrement violentes pendant la guerre, parfois entre voisins et entre anciens amis, ainsi que de graves nettoyages ethniques et détentions de civils dans des camps de concentration. Malgré ces expériences horribles, quelques forums furent établis après la guerre pour traiter les traumatismes qui en ont découlé et travailler vers le rétablissement de la confiance entre les individus au sein des communautés. De plus, le fait de parler ouvertement des expériences liées à la guerre et des défis en terme de santé mentale a été, et est toujours, particulièrement stigmatisé. Cela crée ainsi un trou noir, dans lequel les individus n’ont ni l’espace, ni le soutien pour travailler sur leurs traumatismes. Pour ces raisons, le CIM fut créé pour promouvoir la guérison, la paix, et la réconciliation au sein de la population locale et, plus largement, dans toute la population de Bosnie-Herzégovine et dans le monde entier.
L’un des outils ayant le plus aidé les fondateurs du CIM à traiter leur propres traumatismes de guerre fut l’outil des Sept marches vers la réconciliation, qui est devenu incontournable pour aider les autres à traiter leurs traumatismes. A l’occasion d’un atelier de plusieurs jours où cet outil était utilisé, le CIM a rassemblé des jeunes vulnérables de Sanski Most et des Etats-Unis. Les fondateurs du CIM ont passé deux jours à mettre en pratique de nombreux exercices avec le groupe afin d’établir la confiance et d’encourager le développement de relations au sein du groupe avant de mettre en pratique cet outil.
L’un des fondateurs du CIM a d’abord montré comment traverser les étapes de réconciliation en parlant ouvertement de son propre cheminement vers la guérison, en évoquant également la manière dont il a approché chacune des étapes des cycles. Après avoir partagé ses histoires, il a invité les participants de l’atelier à repenser à un conflit personnel et au traumatisme lié. Le conflit pouvait être interne, interpersonnel ou intergroupe et se situer à n’importe quelle étape du cycle. Les fondateurs du CIM, après une simple explication, ont laissé du temps aux participants pour repenser à leur traumatisme personnel, leur ont demandé de se déplacer vers le cycle représenté en grandeur nature sur le sol de la salle de l’atelier. Les personnes ensuite se sont positionnées sur l’étape à laquelle ils identifiaient leur conflit. Avec la plus grande délicatesse, les fondateurs du CIM ont encouragé tous les participants qui se sentaient à l’aise à faire part de leur traumatisme et de leur étape actuelle avec le groupe. Il fut clarifié que cet exercice était destiné à aider les participants à traiter leur traumatisme en l’évoquant à voix haute devant les autres qui pouvaient ainsi devenir « des témoins » et légitimer la victime. Seuls ceux qui se sentaient en sécurité et disposés à partager se son lancés.
Pendant ce processus, les jeunes de Bosnie-Herzégovine et des Etats-Unis se sont ouverts et ont parlé des traumatismes qui les hantaient et affectaient leurs relations avec les autres. Certains participants de Bosnie-Herzégovine ont parlé des conséquences que la guerre des années 1990 a eues sur leur famille, et plus spécifiquement sur leurs parents, et de la manière dont elles les affectaient dans leur propre vie. Certains ont évoqué le fait d’appartenir à certaines ethnies mixtes et les complications que cela ajoutait à leur identité d’après-guerre déjà difficile. Les jeunes américains avaient également leurs propres traumatismes à régler pendant l’exercice. Une jeune femme évoquait sa relation difficile avec sa mère tandis qu’une autre expliquait se sentir coincée dans la colère envers un ami qui s’était suicidé.
Les participants, travaillant à cet exercice, passaient souvent par des émotions fortes, incluant celles qui avaient été profondément refoulées, ce qui rendait leur reconnaissance et leur libération bouleversante. Cet exercice est extrêmement difficile mais très transformateur. Mené par des facilitateurs expérimentés, cet exercice donne la possibilité essentielle de régler et de dépasser les traumatismes du passé dans un environnement sécurisé. Pour la plupart des participants à ces ateliers de jeunesse, c’était la première fois qu’ils se sentaient reconnus publiquement et qu’ils traitaient leur souffrance jusqu’ici non reconnue. Pour les autres, cet exercice leur donnait la possibilité de libérer l’énergie négative qui les bloquait à une étape dans leur cycle sans pouvoir avancer. Tous les participants, et même ceux qui n’étaient pas prêts à partager leur traumatisme, ont admis que l’exercice apportait croissance et guérison dans leur vie personnelle et rapprochait les membres du groupe.