Théorie

Cet outil se fonde sur une compréhension dynamique et multi-causale des conflits et de la consolidation de la paix. Comme les conflits évoluent dans le temps, ils se manifestent différemment dans diverses régions d’un contexte donné, ils résultent de la combinaison de multiples facteurs tant au niveau économique, que politique, et culturel. C’est pourquoi toute une série d’actions est nécessaire pour une paix globale.

Trois apports théoriques soutiennent cette approche :

  • Approche théorique 1a : les étapes du conflit

La première approche théorique établit que l’évolution des conflits suit différentes phases ou étapes : une période de latence caractérisée par des conditions pouvant potentiellement générer des situations de confrontation entre au moins deux des acteurs en présence, un temps de confrontation, souvent violente, menant à une escalade du conflit ou à sa stabilisation pour une durée donnée, un temps de rapprochement entre les acteurs, pouvant mener à la désescalade du conflit, et enfin, une période post-conflit, ne signifiant pas forcément la fin du conflit, mais plutôt son entrée dans une nouvelle phase de latence. Dans les diverses zones affectées par les conflits, les différentes phases peuvent se manifester simultanément.

  • Approche théorique 1b : le maintien, l’établissement, et la consolidation de la paix

Parallèlement à cette approche, les théoriciens de la paix ont proposé trois stratégies principales pour la transformation ou la résolution des conflits : le maintien, l’établissement, et enfin, la consolidation de la paix, une stratégie de construction de paix qui évite le retour de la violence. Il en ressort des stratégies de prévention [1], souvent nécessaires lorsque le conflit est encore latent ou au cours de la phase post-conflit, l’objectif étant de prévenir sa réapparition. Les efforts [2] de maintien de la paix interviennent pendant une phase d’escalade, lorsque la protection de la population civile contre les impacts du conflit armé est le plus imminente. Le besoin de négocier et d’établir la paix [3] intervient une fois que le rapprochement entre les acteurs armés a réussi et que ceux-ci sont à la recherche d’un accord de paix pour mettre un terme au conflit. Les efforts pour la construction d’une paix durable (consolidation de la paix) [4] visent, quant à eux, à reformer le tissu social et à guérir les blessures dans la phase post-conflit. Ils peuvent étayer les réformes visant à renverser les pratiques d’exclusion qui sous-tendent le conflit, et faire avancer le processus de réconciliation sociale. Une consolidation durable de la paix, nécessaire au cours des différentes phases du conflit, nécessite la création d’une culture de paix, ancrée dans la vie sociale locale, opérant comme un élément préventif contre de futurs conflits violents. Etant donné que les conflits évoluent dans le temps et qu’ils traversent différentes phases dans différentes zones d’un contexte donné, les efforts engagés dans la construction de la paix doivent simultanément afficher des stratégies de maintien, d’établissement, et de consolidation de la paix, en mettant l’accent sur la stratégie la plus pertinente pour chaque phase du conflit rencontrée dans chacun des contextes particuliers.

Image : les phases d’un conflit et la consolidation globale de la paix :

  • Approche théorique 2 : l’approche relationnelle

L’outil proposé tient compte de la nature dynamique d’un conflit dans son analyse des processus de consolidation de la paix. C’est pourquoi, il se penche tout d’abord sur les stratégies appliquées par les différents acteurs affectés par un conflit et sur les situations naissant de leurs interactions.

Cet outil se fonde sur la conviction que les mécanismes d’interaction entre les acteurs sont déterminants pour transformer les dynamiques d’un conflit et pour la réussite de la paix sur des territoires spécifiques. Une seconde contribution théorique est utile à cet égard : l’approche relationnelle développée par des sociologues tels que Charles Tilly, Sidney Tarrow et Doug McAdam. Elle établit un lien direct entre d’une part l’influence des initiatives de paix sur les situations de violence, et d’autre part leur capacité à modifier les relations entre les acteurs impliqués. La compréhension et la mise en œuvre de mécanismes en mesure de modifier les rapports entre les acteurs du conflit facilite la conception des processus et des circonstances propices à la réduction de la violence directe, et la transformation des conditions structurelles et culturelles favorisant la paix.

Pour la compréhension des efforts de paix, cette démarche a une implication importante : à la fois par leur origine et par leur développement, les conflits reposent sur certains types de rapports favorisant la génération continue des conditions maintenant les conflits actifs. De même, il ne faut pas concevoir leur résolution comme un acte de bonne volonté (Les dispositions du gouvernement et des guérillas envers la paix, la participation de la société civile, l’implication de la communauté internationale, etc.), mais plutôt tabler sur la transformation des types de relations alimentant le conflit violent. D’une certaine manière, au lieu de considérer qu’un conflit s’engage sur une trajectoire (en début de parcours), passe par une négociation (à mi-parcours) et débouche sur la paix (au bout du chemin), cette démarche, se concentre davantage sur la transformation des relations au sein de conflits spécifiques, où la négociation constitue seulement une étape. Cela implique du point de vue analytique, d’abandonner la corrélation puriste opposant la paix et la violence, les acteurs violents et les acteurs pacifiques, et les actes de paix et de guerre. Si l’objectif est d’établir un compte-rendu de la transformation des relations, la paix et la guerre sont ramenées à de simples éléments d’un processus social à long terme et seraient difficilement réduits à des situations de « paix » ou de « violence ».

Dans son application pratique, cette démarche permettrait une intervention dans les relations entre les opposants, visant à transformer leurs modèles d’interactions, et serait plus efficace que de « (...) chercher à modifier les comportements individuels, pour limiter plus strictement les pulsions ou éliminer les idées nocives » (Tilly : 2007, 9). En conséquence, la création des conditions pour la paix interviendrait, dans une large mesure, grâce à la compréhension, à l’intervention et à la modification des formes dominantes d’interaction et de négociation entre les acteurs directement impliqués dans le conflit.

Image : analyse relationnelle des acteurs et des dynamiques des conflits et de la paix :

Le présent outil propose, par conséquent, une vision dynamique des conflits et permet potentiellement une modification des conditions ayant mené à la violence.

  • Approche théorique 3 : théorie du changement social

La troisième approche théorique fait référence aux théories du changement social. La notion à l’origine du débat sur le changement social, veut qu’il existe un état de fait susceptible d’évoluer, ce qui réaffirme la vision dynamique selon laquelle la réalité n’est pas inévitable mais peut être influencée et modifiée. Des auteurs tels que Lofland (1993 : 23) et Garcia (2006 : 61) affirment que les théories du changement dans les organisations et les mouvements de paix peuvent être perçues comme la manière dont elles conçoivent et définissent la nature du conflit, et dont elles présentent des alternatives efficaces (les cadres culturels et les justifications des initiatives) [5].

Enfin, comme indiqué précédemment, cette vision dynamique des conflits nécessite une vision de la paix complète et méthodique. Selon Fisas Vicenç (1998), le concept de paix, qui tient compte des concepts de paix négative et positive de Johan Galtung, prône cette vision holistique et méthodique de la paix : « Si nous considérons l’absence de guerre comme une paix négative, l’absence de violence équivaudrait à une paix positive, dans le sens de la justice sociale, de l’harmonie, de la satisfaction des besoins primaires (la survie, le bien-être, l’identité et la liberté), de l’indépendance, du dialogue, de la solidarité, de l’intégration et de l’équité. » Dans cette perspective globale, les concepts de paix et de développement vont de pair. Fernán González l’exprime de la manière suivante (1999, 5) : « La construction de la paix est essentiellement liée au développement des régions affectées par un conflit politique et social et à la construction d’un espace public pour la résolution pacifique des conflits. »

Notes

[1On entend par prévention l’ensemble des actions entreprises pour empêcher l’escalade vers la violence des conflits en cours au sein d’une société. Elle inclue l’identification des problèmes et des conflits pouvant mener à la violence, la conception et la mise en œuvre de politiques pour transformer positivement ces conflits, et des systèmes d’alerte précoce visant à prévenir l’irruption de la violence et ses effets sur les populations civiles (Cf. López, 2004 : Volume II, pp. 963-964 ; Suifon, 2005).

[2Le maintien de la paix n’est pas seulement appréhendé, comme il l’est habituellement, sous la forme d’opérations militaires pour conserver la paix (voir López, 2004 : Volume II, pp. 923-926). Nous prenons en compte d’autres études sur la paix incluant également des actions civiles pour contenir le conflit et des espaces ouverts pour la consolidation de la paix. « De nombreuses personnes appréhendent le maintien de la paix comme une activité militaire, nécessitant l’envoi de troupes dans une zone de conflit par les Nations unies ou quelqu’autre organisation officielle, pour faire cesser les combats et restaurer l’ordre. Cependant, dans son sens plus général, le maintien de la paix peut comprendre toutes les activités visant à enrayer la violence et à créer un environnement sécurisé pour rendre possible d’autres activités de consolidation de la paix. De nombreuses activités de maintien de la paix peuvent tout aussi efficacement être menées par des civils non armés » (Wallis et Samayoa 2005, 363). Nous considérons par ailleurs qu’une partie de cet endiguement provient de l’effort mené par les victimes et les populations à risque qui ont consolidé leur capacité de résistance face aux actions des acteurs armés.

[3L’établissement de la paix représente l’ensemble des efforts produits pour faire avancer les négociations menant à un accord de paix qui mettrait un terme au conflit armé. (Voir López, 2004 : Volume II, p. 926). Il prend en compte tous les efforts faisant partie du processus de paix, les efforts de médiation et de rapprochement des acteurs, les négociations, les accords de paix et les conditions établissant le DDR (le désarmement, la démobilisation et la réintégration) ainsi que la phase post-conflit. (Voir Darby et MacGinty, 2003).

[4La consolidation de la paix (ou construction de la paix) représente l’ensemble des efforts produits pour construire une paix durable et viable et prévenir le retour du conflit armé. Elle prend en compte pratiquement tous les aspects de la vie en société ayant été affectés par un conflit armé. Elle comprend, entre autres efforts, la mise en œuvre d’accords de paix, la reconstruction de la société après la guerre, le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) des groupes armés impliqués dans le conflit, les réformes sociales et politiques visant à résoudre les problèmes structurels à la base du conflit, la promotion d’un développement alternatif, la promotion d’une culture de paix, les processus de justice transitionnelle ainsi qu’un compte-rendu précis du passé, et la promotion des dynamiques de réconciliation dans une société déchirée par un conflit (Voir López, 2004 : Volume II, pp. 920-922 ; Reychler & Paffenholz, 2001, van Tongeren et al, 2005).

[5Voir les estimations par Benjamin Tejerina sur le changement, les mouvements sociaux et les actions collectives, mettant en lumière le besoin de comprendre l’histoire des mouvements sociaux à partir d’« éléments normatifs et symboliques », en complément des trois thèmes sur lesquels s’accordent les différents auteurs : les opportunités politiques, les structures de mobilisation, et les processus sociaux. (Mc Adam, McCarthy et Zald) dans l’ouvrage : Mouvements sociaux. Pedro Ibarra. comp. P.111